A la fin de l’été 2023, Alix, une jeune vingtenaire, a vécu une rupture amoureuse qui, selon ses propres mots, l’a bouleversée, mais surtout mise très en colère. Alors, cette étudiante en master qui a longtemps eu du mal à gérer ses crispations (« jusqu’à en être dévorée de l’intérieur, au point où je pouvais en venir à taper mes meilleures copines ») a décidé, cette fois, de les canaliser en s’offrant une séance dans une « rage room ». Apparues au Japon en pleine crise financière de 2008 afin d’apaiser les tensions vécues par des cadres du secteur tertiaire en voie de déclassement, ces salles où l’on est invité à détruire vaisselle, électroménager ou imprimante à coups de batte de base-ball ou de pied-de-biche sur fond de hard rock se sont multipliées en Europe ou aux Etats-Unis, ces quinze dernières années.
« Avant d’y aller, j’étais énervée et excitée à l’idée d’expulser mon trop-plein de colère. Et durant la séance j’ai ressenti un réel sentiment de puissance. En sortant de là, j’étais comme vidée », se souvient la jeune femme, qui avoue pourtant que l’effet d’apaisement escompté ne fut que de courte durée. Malgré tout, David Lafranque l’assure : « Nos salles sont pleines toutes les semaines. » Le profil type de ses clients ? « Il y en a plusieurs », répond le cofondateur de la franchise Fury Room, présente à Paris depuis 2017, et à Bordeaux, Genève et Chicago. « On voit passer des gens qui ont eu une journée difficile, des parents qui viennent avec leurs ados, des manageurs avec leurs équipes ou encore des psys accompagnés de leurs patients. En majorité, ce sont des femmes et, dans tous les cas, plutôt des gens qui sont au quotidien dans la retenue ou introvertis. » Si ces salles de destruction aux vertus censément cathartiques connaissent un tel succès, c’est qu’elles s’inscrivent parfaitement dans un air du temps « à cran ».
« Le monde a beaucoup trop de colère en ce moment », constatait également l’historien Yuval Noah Harari, le 22 décembre 2023, au micro des « Matins de France Culture ». Chaos climatique, conflits géopolitiques, inflation fulgurante, inégalités galopantes, sécurité existentielle ressentie comme en voie d’effritement, de déclassement… Il y a bien des raisons qui poussent au coup de sang. « Moi qui suis d’ordinaire quelqu’un de très calme, je suis ces derniers temps régulièrement en proie à des excès de colère répétés, admet Jean-Baptiste, lunettier de 41 ans. Je crie sur mes enfants lorsqu’ils ne m’écoutent pas, je m’énerve contre ma compagne lorsqu’on n’a pas le même point de vue et, d’une manière générale, je râle beaucoup sur tout et n’importe quoi. Ça m’angoisse et me fait culpabiliser, donc j’essaie de m’apaiser en faisant plus de sport et en modérant ma consommation d’alcool, mais, pour l’instant, ça ne fonctionne pas vraiment. »
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