La file des voitures ralentit en arrivant au poste de contrôle. Les gardes-frontières ukrainiens, en armes, vérifient les papiers et inspectent les véhicules. Les déserteurs sont traqués. Un conducteur de bus s’impatiente : « Faites vite s’il vous plaît, mes passagers sont en retard et vont rater leur avion ! » Il ouvre en hâte la soute. Chaque recoin est examiné. Rien de suspect, le bus redémarre et dépasse le poste frontalier Palanca-Mayaki-Udobne, direction la Moldavie.
Depuis l’invasion russe, en février 2022, et l’interdiction faite aux hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire, des Ukrainiens tentent chaque jour de passer la frontière illégalement pour échapper à la mobilisation. « Au début, on avait 80 à 90 cas par jour. Aujourd’hui, c’est environ vingt-cinq », affirme Andriy Demchenko, porte-parole des gardes-frontières d’Ukraine. Aucun chiffre ne permet de savoir combien de tentatives ont réussi.
Au fil des mois, le renforcement de la sécurité et des patrouilles aux frontières a dissuadé une partie des candidats au départ. Mais la pression sur les hommes en âge de combattre s’est encore accrue depuis qu’un projet de loi controversé prévoit de mobiliser en masse pour remplacer les soldats – épuisés, blessés ou morts – qui tiennent le front depuis deux ans.
Des boîtes en métal sous les véhicules
La frontière occidentale du pays est un point d’observation privilégié pour mesurer la détresse de ces Ukrainiens prêts à tout pour éviter d’être enrôlés. Certains stratagèmes ont laissé un souvenir amusé, comme cette fois où un homme, déguisé en femme, a été débusqué à la nuit tombée, dans un bus. L’homme arborait une perruque aux cheveux longs, un foulard et des lunettes de soleil au-dessus de sa barbe, bien visible.
Mais d’autres tentatives de désertion tournent au tragique. Beaucoup d’hommes s’aventurent la nuit à travers la forêt ou la rivière Tisza, qui longe la Roumanie ; d’autres se cachent dans des camions de marchandises, des soutes à bagages, ou même des boîtes en métal soudées sous les véhicules. « Ils restent comme ça pendant des heures sans ventilation, au péril de leur vie », remarque Anastasia Gayevska, officière chargée de la presse pour cinq postes-frontières entre l’Ukraine et la Moldavie. Depuis février 2022, vingt-quatre Ukrainiens sont morts en essayant de quitter le pays illégalement, dont dix-neuf par noyade, selon les chiffres officiels communiqués au Monde.
En parallèle, 350 groupes de passeurs ont été arrêtés. Ils prolifèrent sur les réseaux sociaux, et délivrent souvent leurs consignes à distance. « On a eu des cas où les groupes criminels avaient fourni des petits bateaux pneumatiques, des bouées, et des brassards en forme de canard, raconte Andriy Demchenko. Cela peut prêter à sourire, mais en réalité c’est extrêmement triste que des hommes adultes en soient réduits à cela, et à prendre de tels risques. » Quand ils sont arrêtés, les déserteurs sont condamnés à une amende de 8 500 hryvnias (205 euros). Les passeurs, eux, encourent jusqu’à neuf ans d’emprisonnement.
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