On croirait voir un cosmonaute évoluer dans les fleurs des champs. Dans sa combinaison blanche, Patrick Cholet s’avance précautionneusement vers une trentaine de ruches posées sur l’un de ses terrains du village de Bonnétable (Sarthe). Si on l’observe bien, on remarque que jamais ses pieds ne viennent écraser les petites plantes – trèfle blanc, trèfle violet, carotte sauvage, phacélie… – qui ponctuent le tapis vert de la prairie. « J’ai enseigné à mes gamins ce que mon grand-père m’a appris : on ne marche pas sur une fleur qui va servir à l’abeille, qui va servir à l’oiseau, et qui finira par servir à l’humain », énonce-t-il.
Ce carré de campagne, qu’il a acheté il y a un an et chouchoute depuis, dit beaucoup de son approche du métier d’apiculteur : un respect de la nature qui confine à la vénération, et prend le contre-pied des pratiques les plus courantes. « Les abeilles travaillent dur pour moi, alors j’essaie de leur faciliter la vie, glisse-t-il. Ça veut dire, évidemment, ne pas utiliser de pesticides qui déciment les essaims. Mais aussi réintroduire des espèces endémiques ou mal-aimées, comme le mûrier, qui ennuie les paysans parce qu’il s’étale et qu’il est plein d’épines, ou le lierre, dont personne ne veut mais qui va charger le miel en omégas 3, 6 et 9. »
Patrick Cholet a changé en art la transformation du nectar, devenant l’apiculteur attitré des chefs étoilés : David Bizet, Alain Passard, Arnaud Viel… Lorsqu’on écoute les mots passionnés de ce stakhanoviste de 59 ans, et qu’on le voit sortir des ruches avec des cadres chargés d’or, sous le bourdonnement continu des ouvrières en pyjama rayé, on a peine à penser qu’il était il y a encore dix ans directeur commercial d’un groupe pétrolier. « Je n’arrivais plus à me regarder dans la glace, se souvient-il. Je gagnais très bien ma vie, mais j’ai tout lâché pour vivre en accord avec mes principes. »
Les débuts des Cadres noirs percherons, son entreprise, sont très compliqués. Durant trois ans, Patrick et Véronique Cholet, son épouse qui gère toujours une grosse partie de l’activité, se tuent à la tâche pour une misère. « On était sur les marchés, et on ne vendait presque rien : on finissait la journée avec 50 balles en poche, confie-t-il. J’ai vu arriver le moment où il faudrait vendre la maison. »
Lui qui pensait que l’apiculture serait « un monde de Bisounours » découvre aussi les mauvaises pratiques de certains confrères. Dans une enquête publiée en mars 2023, la Commission européenne et l’Office européen de lutte antifraude indiquent que près de la moitié du miel importé en Europe est frelaté, le plus souvent par ajout de divers sirops de sucre pour faire du volume.
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