LETTRE DU BENELUX

En partance pour Rome le 29 septembre après une visite officielle en Belgique, le pape François évoquait devant des journalistes « la loi criminelle » autorisant des « tueurs à gage » – à savoir des médecins – à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse. Un propos pas vraiment neuf dans sa bouche, mais qui, répété dans un pays qui débat depuis plusieurs années d’un éventuel allongement du délai légal pour un avortement, et même d’une dépénalisation complète, a eu un écho retentissant.
D’autant que le chef de l’Eglise venait aussi d’annoncer son intention de lancer une procédure de béatification du roi Baudouin, décédé en 1993. Trois ans plus tôt, ce chef d’Etat très catholique avait refusé de signer une loi de dépénalisation de l’IVG approuvée par le Parlement et menaça même d’abdiquer si on comptait l’y contraindre. Seul un tour de passe-passe avait permis d’éviter le déclenchement d’une crise institutionnelle majeure : un juriste suggéra le recours à une « incapacité de régner » qui permit au gouvernement de ratifier le texte à la place du roi, qui reprit son rôle après trente-six heures…
Les propos de Jorge Mario Bergoglio ont, sans surprise, déclenché la fureur du Comité d’action laïque et cinq obédiences maçonniques ont réagi en qualifiant cette déclaration de « brutale ingérence d’une autorité religieuse dans les affaires de l’Etat ». Jan Danckaert, le recteur de l’université flamande de Bruxelles a dénoncé « des propos perfides contraires aux lois démocratiques » et qui pourraient conduire, selon lui, à un incident diplomatique. Sentant la tempête venir, le premier ministre démissionnaire, Alexander De Croo, déclarait au Parlement, le 3 octobre, que « le temps où l’Eglise dictait la loi dans notre pays est, fort heureusement, loin derrière nous ». Il a, dans la foulée, « invité » le nonce apostolique à un entretien dont le contenu n’a pas été révélé.
« “Mon Eglise” n’a pas été au rendez-vous »
Des catholiques ont eux aussi réagi, avouant leur tristesse ou leur consternation. Parmi les prises de position les plus remarquées, il y eut celle de Céline Fremault, 50 ans, ancienne ministre et députée, membre d’un parti chrétien-démocrate. Le 1er octobre, dans une lettre ouverte au pape, elle se décrivait comme « baptisée, croyante, éduquée à la mamelle des valeurs de l’Evangile, membre de l’Eglise depuis [sa] naissance, fidèle du “peuple de Dieu” ».
Elle expliquait qu’en 2000 elle avait dû subir un avortement médical, l’enfant qu’elle devait mettre au monde n’étant pas viable. « “Mon Eglise”, que j’avais appelée à être à mes côtés dans ce moment totalement inconnu pour une jeune femme de 26 ans, n’a pas été au rendez-vous de cette souffrance : elle a jugé bon de se mettre en prière pour que je ne commette pas l’irréparable, à savoir “ôter la vie” », écrivait-elle. Depuis, elle a consacré une partie de son activité à faciliter le deuil de parents ayant vécu la perte d’un enfant à naître. Et, heurtée par les propos du chef de l’Eglise, elle lui indiquait que « des “tueurs à gages”, pourtant très qualifiés tant médicalement qu’humainement, auront permis, par leur travail, de préserver [son] corps, en l’occurrence [son] utérus, afin de lui permettre d’accueillir quatre autres maternités ».
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