Home » « Etre une femme avec un enfant dont le papa est mort à la guerre, l’idée me coupe la respiration »

« Etre une femme avec un enfant dont le papa est mort à la guerre, l’idée me coupe la respiration »

by Marko Florentino
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Paris, le 30 octobre 2024,

Chères lectrices, chers lecteurs,

Hier, c’était mon anniversaire. A un moment de la ­journée, j’ai fermé les yeux et j’ai fait un vœu : que la guerre finisse et que tout soit comme avant, que j’arrive à Kyiv avec Yanis et Zakary en trois heures et pas en plus de vingt-quatre heures. Qu’on puisse se réunir en famille sans craindre qu’un missile ou un drone ne tombe sur notre appartement. Malgré tout ça, j’ai eu un très beau cadeau d’anniversaire : je suis tante ! Cela me rend si heureuse ! Ma petite Sasha est devenue maman, comme moi il y a exactement huit mois. J’aurais tant aimé qu’on puisse partager ces bouleversements de nos vies de femmes en étant côte à côte. Au lieu de ça, je suis plongée dans une inquiétude permanente. Je pense sans cesse à mes proches, à ma sœur, à son bébé, à leur sécurité. À mon grand regret, je n’ai pas pu partir en Ukraine, comme je le pressentais dans ma dernière lettre. J’attends le renouvellement de mon titre de séjour français pour pouvoir voyager. C’est long !

Il y a quelque temps, le groupe de rock ukrainien Okean Elzy a donné un concert à La Villette, à Paris, pour son 30e anniversaire. Je voulais vraiment y aller mais je n’ai pas pu car, en ce moment, ma vie tourne autour de mon bébé. C’est un groupe mythique en Ukraine – on peut le comparer un peu à Indochine pour les Français. Leurs chansons m’évoquent tellement notre enfance et notre adolescence avec Sasha. Surtout celle qui s’appelle Ya yidu dodomu. Elle dit : « Je rentre à la maison, chez toi/Où les yeux sont familiers et toujours nouveaux ! /Je rentre à la maison, chez toi/Combien de temps durent ces nuits et ces jours ! » Okean Elzy continue de donner régulièrement des concerts en Europe. C’est une façon de promouvoir la culture ukrainienne et de faire des collectes de dons. Sviatoslav Vakartchouk, le leader du groupe, est très engagé politiquement. Depuis des années, il prend position contre l’oligarchie et la corruption. Il a fondé le parti Holos, a été député. Au début de la grande guerre, il a chanté sur le front pour soutenir le moral des soldats.

Si je vous parle de ce groupe, c’est qu’Okean Elzy s’est aussi produit à Kyiv, ce mois-ci. Le 11 octobre, lendemain de leur concert devant des milliers de personnes, des images ont tourné sur les chaînes d’info et les réseaux sociaux. On y voyait des agents de recrutement de l’armée ukrainienne qui, à la ­sortie, arrêtaient les hommes, demandaient des papiers… Certains se faisaient embarquer. Dans une vidéo, on voit deux militaires immobiliser un gars qui crie : « Lâchez-moi, lâchez-moi ! » Cette méthode de « recrutement » est si brutale. Cela m’a fait peur.

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