
Une peine de cinq ans de prison dont deux ans ferme a été requise, mardi 10 décembre, à l’encontre du réalisateur Christophe Ruggia, jugé à Paris pour des agressions sexuelles sur l’actrice Adèle Haenel quand elle avait entre 12 et 14 ans.
La procureure a demandé que la partie ferme de cette peine soit directement aménagée sous bracelet électronique, ce qui veut dire que Christophe Ruggia n’irait pas en prison si le tribunal suit le parquet. Elle a aussi requis une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, une interdiction d’entrer en contact avec la victime et une obligation de l’indemniser. La défense a plaidé la relaxe, et le tribunal rendra sa décision le 3 février.
Mardi, pendant l’audience et alors que le réalisateur soutenait à la barre avoir tenté de la protéger lors de ses débuts dans le cinéma, l’actrice s’est soudainement levée, tapant ses mains à plat sur la table devant elle, avant de crier : « Mais, ferme ta gueule ! ». Elle a ensuite quitté la salle.
Adèle Haenel, 35 ans, et qui s’est depuis mise en retrait du cinéma, venait de refaire une courte déclaration à la barre. « Qui était là autour de cette enfant pour lui dire : “Ce n’est pas de ta faute. C’est de la manipulation. C’est de la violence” ? », s’est interrogée l’actrice, en costume noir. « Tout le monde me demande de pleurer sur le sort de M. Ruggia, mais qui s’est soucié de l’enfant ? Agresser des enfants comme ça, ça ne se fait pas. Ça a des conséquences. Personne n’a aidé cette enfant », a-t-elle ajouté la voix tremblante.
Une « conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement »
Le tribunal a ensuite appelé Christophe Ruggia, lui demandant de réagir. « J’avais conscience, dès le départ, de la complexité de ce film… », a commencé le réalisateur, au sujet de son long-métrage Les Diables, dans lequel Adèle Haenel a joué le rôle principal, en 2001, alors qu’elle était âgée de 12 ans. « On est bien d’accord qu’Adèle Haenel ne vous reproche pas les conditions du tournage, mais l’après », l’a interrompu le président.
Le réalisateur de 59 ans a assuré qu’il avait essayé de la protéger des retombées de son film, dans lequel elle avait joué des scènes de sexe, juste avant le début des agressions dénoncées.
« Je lui ai dit de prendre un nom d’emprunt… », a-t-il avancé, avant d’être interrompu par le cri d’Adèle Haenel. Son départ de la salle d’audience a résonné comme un écho à celui de la cérémonie des Césars, en 2020, après la nomination de Roman Polanski. Après une demi-heure d’absence, l’actrice est revenue dans la salle d’audience, s’asseyant, visage fermé, au bout du banc des parties civiles.
La veille, Christophe Ruggia l’avait accusée de « pur mensonge », parlant d’un « #MeToo français » qui serait « tombé » sur lui, et assurant que l’actrice avait voulu se « venger » car il ne l’avait pas refait jouer après Les Diables. Une « défense absurde », a balayé la procureure Camille Ploch. « Il a fait le choix d’agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement », soutient la procureure au sujet du prévenu, qui avait, à l’époque, entre 36 et 39 ans.
« Cette audience doit rappeler l’interdit, qui était l’adulte, qui était l’enfant. Elle doit remettre le monde à l’endroit », a martelé la magistrate, qui n’a « aucun doute » sur la réalité des agressions, décrites de manière « constante » par Adèle Haenel, « dès 2006 » en privé. « Il me reprochait l’amour qu’il avait pour moi », avait dit l’actrice. « Qu’est-ce que ça doit être lourd à porter quand on a 12 ans… », commente la procureure.
Une « fiction » qui « imprègne la réalité », selon la défense
Dans la salle comble, la procureure a évoqué les multiples témoignages du « malaise » d’adultes, les écrits d’« amoureux éconduit » de Christophe Ruggia. Et cette « incapacité » du réalisateur « à détailler ce qu’il s’est passé pendant des heures entre un homme adulte et cette préado, de vingt-quatre ans sa cadette ».
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Durant « 120 samedis » entre 2001 et 2004, « ses mains sous le tee-shirt, dans la culotte d’une petite fille », avait dénombré Yann Le Bras, l’un des avocats d’Adèle Haenel. Mais, à en croire M. Ruggia, complète Anouck Michelin, l’autre conseil de l’actrice, « c’est l’enfant qui a tous les torts, qui est trop sensuelle, trop délurée, trop dangereuse ».
Les avocats de l’actrice ont demandé 30 000 euros en réparation du préjudice moral et 31 000 euros pour la prise en charge de son suivi psychologique.
Les accusations d’Adèle Haenel – dans Mediapart en 2019 – « n’étaient pas spontanées », accuse en défense Me Orly Rezlan, mais celles d’une « lanceuse d’alerte d’un #MeToo dans le cinéma » français. Aux yeux de tous, Christophe Ruggia est déjà « coupable, coupable, coupable », tonne sa seconde avocate, Fanny Colin, qui craint que le tribunal ne soit tenu « de rendre justice le pistolet sur la tempe ».
Puisque le réalisateur est un « gros menteur et qu’on l’enjoint de fermer sa gueule », Me Colin ne veut parler que du « dossier ». Pour remettre en cause « les convictions assénées », la « fiction » qui « imprègne la réalité », dit-elle, et surtout « le souvenir » qui « resurgit » mais qui n’est pas « suffisant pour entrer en voie de condamnation ».
Fin du procès. Adèle Haenel sort de la salle d’audience sans un mot, remerciant d’un geste les femmes venues l’applaudir.