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une indépendance éditoriale garantie par le modèle actionnarial

by Marko Florentino
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Une pile de journaux « Le Monde » dans les locaux du journal, à Paris, le 5 décembre 2024.

La coïncidence est particulièrement heureuse : Le Monde fête ses 80 ans alors que le groupe de presse qui s’est construit autour de lui depuis plus de deux décennies aborde un nouvel âge de son existence qui devrait lui garantir durablement les moyens de son indépendance.

La reconfiguration de son capital a en effet franchi au cours de l’année écoulée une étape essentielle avec le transfert de la quasi-totalité des parts (à l’exception d’une) de celui qui était devenu progressivement son actionnaire principal, Xavier Niel, à un fonds de dotation, le Fonds pour l’indépendance de la presse. Présidé par un ancien directeur de la rédaction du Monde, Alain Frachon, ce fonds est devenu l’actionnaire de référence du groupe qui rassemble en outre Télérama, Courrier international et La Vie, aux côtés du Pôle d’indépendance. Ce dernier rassemble l’actionnariat salarié, journalistes et employés de ces différents titres, ainsi que la Société des lecteurs du Monde.

Les actions transférées au Fonds pour l’indépendance de la presse sont devenues statutairement incessibles. Une modification de cette disposition fondamentale ne pourrait intervenir sans un vote favorable du représentant du Pôle d’indépendance, qui y dispose de fait d’un droit de veto. Cette reconfiguration est intervenue alors que le pouvoir des journalistes, au sein des différentes sociétés de rédacteurs, a été progressivement uniformisé au sein du groupe et conforté par un nouveau droit de veto. Le Monde a été pionnier en la matière. Alors que la nomination du directeur du journal devait déjà être approuvée par une majorité qualifiée de 60 % des membres de la Société des rédacteurs du Monde, sa révocation ne pourra intervenir désormais sans un vote conforme d’au moins 60 % des journalistes.

Une succession de bouleversements

Lorsque la première édition du quotidien était parue, le 18 décembre 1944, promettant à ses lecteurs « des informations claires, vraies et, dans toute la mesure du possible, rapides, complètes », le paysage de la presse française était bouleversé par l’épuration des titres et des hommes qui s’étaient compromis dans la collaboration. Du fait de jugements sévères portés sur la responsabilité de la presse dans l’effondrement de juin 1940, d’intenses réflexions avaient été conduites au sein du Conseil national de la résistance. Son programme fixait comme objectif « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Un vœu malheureusement resté largement pieux.

Le Monde avait pourtant innové en 1951 avec la création de la Société des rédacteurs dans le contexte de tensions entre les fondateurs du quotidien. Les journalistes avaient obtenu pour la première fois voix au chapitre en se portant en soutien de leur directeur, Hubert Beuve-Méry, poussé à la démission. Ils avaient finalement obtenu son maintien, même si ce dernier avait été prompt par la suite à s’interroger sur la pertinence de cette irruption de la collectivité des journalistes dans la gestion d’un quotidien. La réussite éditoriale et économique de ce titre, pendant trois décennies quasi ininterrompues, avait pourtant institutionnalisé cette exception d’un journal dirigé par ses journalistes.

Cette stabilité a pris fin au début des années 1980, sur fond de positionnement éditorial coûteux (une trop grande aménité à l’égard de la toute jeune présidence de François Mitterrand). Une succession de bouleversements, des aléas du marché publicitaire à la remise en cause du marché de l’information du fait de l’explosion du numérique, a ensuite fragilisé ce modèle capitalistique. Et souligné la difficile compatibilité entre la mission de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste », selon la formule de Charles Péguy souvent reprise par Hubert Beuve-Méry, et la gestion d’une entreprise de presse soumise au défi de son adaptation.

Écouter aussi « Le Monde » et les présidents de la Vᵉ République : entre opposition et séduction

L’effritement continu de la part majoritaire détenue par les journalistes, cadres, employés et famille des fondateurs a trouvé son terme en 2010 avec le rachat du groupe constitué autour du quotidien par un trio d’investisseurs composé de Pierre Bergé, de Xavier Niel et de Matthieu Pigasse. Un nouvel équilibre s’est mis en place avec la distinction des responsabilités éditoriales et économiques au sein d’un directoire, sachant que l’indépendance du groupe de presse commence par sa bonne santé financière.

Fonds de dotation

La Société des rédacteurs du Monde et celles des autres publications, les sociétés des personnels et la Société des lecteurs, réunies au sein d’un nouveau Pôle d’indépendance, ont cependant conservé au terme de cette recapitalisation une minorité de blocage au sein du capital du groupe. De même, les journalistes du Monde ont préservé un droit de veto sur la nomination d’un directeur, choisi par les actionnaires. Les engagements pris par ces derniers en matière d’indépendance éditoriale ont été en outre consignés dans une charte d’éthique et de déontologie élaborée en collaboration avec les sociétés de rédacteurs et le Pôle d’indépendance, et sanctuarisée dans les statuts de la société. Cette indépendance éditoriale a été scrupuleusement respectée depuis cette date.

En janvier 2017, ces droits spécifiques ont été confortés par l’octroi au Pôle d’indépendance d’une « action de préférence » inaliénable, car ne pouvant lui être retirée contre sa volonté, et d’une durée illimitée. La disparition de Pierre Bergé, la même année, puis l’arrivée inopinée du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky par le biais du rachat d’une partie des parts détenues par Matthieu Pigasse auraient pu compromettre l’équilibre patiemment mis en place. Au contraire, la singularité du modèle du Groupe Le Monde a été confortée par la décision des actionnaires, en 2019, de reconnaître au Pôle d’indépendance le droit de refuser l’entrée d’un nouvel actionnaire de contrôle, charge lui revenant ensuite de trouver, dans un délai de six mois, un repreneur alternatif.

Deux ans plus tard, le projet esquissé alors par Xavier Niel de création d’un fonds destiné à recevoir les parts du groupe de presse a, en outre, commencé à prendre forme. Il a été depuis finalisé et ces parts transférées. Reconnu d’utilité publique, ce fonds de dotation a également pour mission de conforter le journalisme indépendant, qu’il s’agisse du financement de projets d’enquête, d’aides contre les procédures judiciaires abusives, d’éducation aux médias ou encore de soutien à la création d’outils numériques destinés à lutter contre le poison de la désinformation en ligne qui fragilise les démocraties.

Cette assise confortée, adossée à la croissance historique du nombre des abonnés du Monde et aux efforts constants de diversification illustrés par les débuts très encourageants du Monde in English, permet de fêter ces 80 ans d’existence avec la satisfaction d’être restés fidèles à l’impératif d’indépendance qui avait guidé, dès les premiers jours, les fondateurs du journal.

De 9 heures à 20 heures sur LeMonde.fr mercredi 18 décembre, retrouvez notre live consacré aux 80 ans du Monde, où plusieurs journalistes de la rédaction, ainsi que son directeur, viendront répondre à vos questions, avant un « live vidéo » de 18 heures à 20 heures.

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