l’éducation aux médias, un pilier de la rédaction du « Monde »

« C’est vrai, il y en a qui l’ont vu sur TikTok et YouTube » : combien d’enseignants, combien de parents ont pu entendre cette phrase de leurs élèves, ou de leurs enfants, associée ici à un fait divers sensationnel près du collège ou du lycée, à une vidéo « exclusive » d’un événement, ou là à un remède miracle contre une maladie ? Quand les versions plus dramatiques d’un emballement, d’une rumeur ou d’une fausse information, elles, aboutissent à de la haine attisée envers une communauté, à une défiance généralisée envers les institutions, les enseignants, les médecins, les journalistes, voire, on l’a vu avec le professeur Samuel Paty, en octobre 2020, à un assassinat.

La réponse à la désinformation est multiple, impliquant à la fois l’éducation nationale, les plateformes numériques, la justice… et bien sûr les médias. De nombreux journalistes du Monde sont intervenus dans des classes au fil des décennies, de manière spontanée ou lors d’opérations comme la Semaine de la presse et des médias dans l’école, organisée par le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information. Mais le choc des attentats de 2015 et la démultiplication des fausses informations ont replacé la question de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) parmi les priorités de notre groupe – et pas seulement auprès des enfants et des adolescents.

Un projet d’EMI prévoyant des interventions en classe et la mise à disposition de matériel pédagogique auprès d’enseignants et des parents a été officiellement lancé en 2017, à l’initiative de plusieurs journalistes de la rédaction. Dans la foulée, Le Monde a rejoint l’association Entre les lignes, qui rassemblait déjà de nombreux membres de l’Agence France-Presse – et désormais également de Contexte, de Télérama, de Courrier international, de La Vie, du HuffPost, du Nouvel Obs et du Monde des ados.

C’est par le biais d’Entre les lignes qu’interviennent désormais quelque 270 journalistes bénévoles dans des classes d’écoles primaires, de collèges et de lycées. L’association anime également des ateliers dans de nombreuses structures culturelles et socio-éducatives (médiathèques, centres sociaux, structures judiciaires) et propose des formations à destination des enseignants, des animateurs ou des journalistes. Chaque année, ce sont plus de 10 000 personnes, adultes et élèves, qui sont ainsi sensibilisés.

Développer l’esprit critique

L’objectif des différents ateliers animés par les bénévoles d’Entre les lignes n’est pas de faire des élèves des journalistes en herbe, mais de contribuer à développer leur esprit critique : où a-t-on vu cette information ? Par qui a-t-elle été donnée et relayée ? Plusieurs médias en parlent-ils ? Qu’est-ce qui relève du fait, de l’opinion ? Jusqu’où va le droit à critiquer, choquer, blasphémer ? Le simple fait de savoir que tout ce qui circule sur les applications de réseaux sociaux, ou que nous dit un ou une proche, n’est pas forcément vrai est déjà une victoire. Accepter de débattre, d’entendre des arguments contradictoires, en est une autre.

L’autre chantier est ensuite d’expliquer l’extrême diversité des médias, la façon dont travaillent les journalistes professionnels – soumis à une charte déontologique non contraignante, les limites étant celles de la loi… et le jugement des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs – et la ligne éditoriale s’appliquant de fait à chaque média. Le premier conseil donné à toutes et à tous est de diversifier ses sources, quelles qu’elles soient, et de ne pas suivre un unique média, youtubeur, tiktokeur, podcasteur…

Expliquer régulièrement notre travail et les conditions de traitement de l’information : c’est ce qui a conduit au lancement, en février 2021, du « Monde & Vous ». Cette rubrique centralise des articles pédagogiques sur le fonctionnement de la rédaction, des making-of sur les coulisses du traitement de tel ou tel événement, nos chartes et avis du comité d’éthique et de déontologie. Chaque mois, un tchat mensuel est organisé avec tous les lecteurs. Ce moment d’interaction directe est ainsi l’occasion de constater la fidélité et l’engouement d’une partie des lecteurs… et de faire émerger nos axes d’amélioration, avec un esprit critique souvent aiguisé.