Le premier ministre sortant du Groenland, Mute Egede, a vigoureusement dénoncé, lundi 24 mars, la visite prochaine de responsables américains, dont le conseiller à la sécurité nationale, dans ce territoire autonome danois que Donald Trump dit vouloir annexer.
La Maison Blanche a annoncé, dimanche, qu’Usha Vance, l’épouse du vice-président américain, J. D. Vance, y fera un déplacement officiel de jeudi à samedi avec une délégation pour assister à une course nationale de chiens de traîneau. Le conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, se rendra aussi cette semaine au Groenland, selon M. Egede, ainsi que le ministre de l’énergie, Chris Wright, d’après la presse américaine. Leur programme n’a pas encore été divulgué mais ils pourraient visiter la base américaine de Pittufik. Deux grands avions militaires Hercules de l’équipe de sécurité ont atterri dimanche à Nuuk.
« Notre intégrité et notre démocratie doivent être respectées, sans aucune ingérence extérieure », a écrit, lundi, M. Egede sur Facebook. Ces visites surviennent en effet à un moment critique pour le Groenland, en pleines négociations en vue de former une coalition gouvernementale. « Les Américains ont été informés de manière claire qu’il ne pourra y avoir de rencontres qu’après l’entrée dans ses fonctions d’un nouveau » gouvernement issu des récentes législatives.
Cette visite prochaine « montre un appétit inapproprié des Américains », a pour sa part jugé le chef de la diplomatie danoise, Lars Lokke Rasmussen, à la télévision TV2. Ce dernier a rappelé que les Américains avaient par le passé une présence militaire plus forte sur l’île. « S’il est nécessaire d’en faire plus, nous aimerions en discuter avec les Américains, mais cela doit se faire dans le respect fondamental » de la souveraineté du Royaume du Danemark, dont fait partie le Groenland, a-t-il insisté.
« Pas une provocation », selon Donald Trump
« Il s’agit d’une démarche amicale, pas d’une provocation », a déclaré, de son côté, Donald Trump à des journalistes à l’issue d’une réunion de son cabinet à la Maison Blanche. « Nous avons affaire à de nombreuses personnes du Groenland qui aimeraient que quelque chose se passe pour qu’il soit correctement protégé et que l’on s’en occupe correctement. Ils font appel à nous. C’est pas nous qui faisons appel à eux », a-t-il ajouté, sans donner de précisions.
Depuis la défaite du parti de gauche écologiste de M. Egede aux élections, ce dernier dirige le Groenland par intérim en attendant la constitution d’un nouveau gouvernement. Dans un entretien avec le quotidien groenlandais Sermitsiaq, il a exhorté, dimanche, la communauté internationale et ses alliés européens à réagir et à afficher leur soutien plus fermement.
« La nouvelle administration américaine se moque totalement de ce que nous avons bâti ensemble. Désormais, son seul objectif est de s’emparer de notre pays, sans nous consulter », s’est indigné M. Egede, qui considère que la visite de la délégation américaine sur le sol groenlandais en est une preuve.
Il ne s’agit pas d’« une simple visite anodine de l’épouse d’un responsable politique », a-t-il insisté. « Pourquoi un conseiller à la sécurité nationale se rendrait-il au Groenland ? Son seul objectif est de nous imposer une démonstration de force (…). Sa seule présence au Groenland renforcera la conviction des Américains quant à la faisabilité de l’annexion et la pression s’accentuera après cette visite. »
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En réaction à l’appel de M. Egede, la Commission européenne a rappelé qu’elle continuerait de « défendre les principes de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale des frontières et de la Charte des Nations unies ». « Ce sont des principes universels que nous défendons et que nous ne cesserons de défendre, d’autant plus si l’intégrité territoriale d’un État membre de l’Union européenne est remise en question », a dit sa porte-parole, Anitta Hipper, lors d’une conférence de presse.
« Démarche agressive »
Le probable successeur de M. Egede, Jens-Frederik Nielsen, le chef du centre droit vainqueur du scrutin, a récemment qualifié de « déplacés » les propos de Donald Trump sur une prochaine annexion du Groenland. Mi-mars, le président américain avait estimé que l’annexion par les Etats-Unis allait finir par « arriver » et qu’elle favoriserait la « sécurité internationale ».
« Nous avons été invités, et ils aiment beaucoup l’idée, parce qu’ils ont été quelque peu abandonnés, comme vous le savez, ils n’ont pas été bien traités, a répété, lundi, Donald Trump aux journalistes. Et je pense que le Groenland sera peut-être un élément de notre avenir. Je pense que c’est important du point de vue de la sécurité internationale. »
L’annonce de cette visite officielle est à voir comme « une démarche agressive », à contre-courant de toute tradition diplomatique, juge Ulrik Pram Gad, chercheur à l’Institut danois pour les études internationales, auprès de l’Agence France-Presse (AFP). Quand un pays cherche à former un gouvernement, « en tant que voisin amical ou allié, normalement, on ne s’en mêle pas ». « Ils n’ont pas été invités par les Groenlandais, ils n’ont pas été invités par les Danois, ils ont simplement annoncé qu’ils s’y rendraient », constate-t-il. Les Etats-Unis sont maintenant vus comme une menace pesant sur le Groenland, argue Ulrik Pram Gad.
De Copenhague à Nuuk, les responsables politiques condamnent les velléités insistantes de Donald Trump de mettre la main sur cette immense île arctique. Si tous les principaux partis groenlandais sont favorables à l’indépendance de ce territoire à plus ou moins long terme, aucun ne soutient l’idée d’un rattachement à Washington. D’après les sondages, la population de 57 000 habitants est également massivement opposée à ce projet de Donald Trump.
Grand comme quatre fois la France, le Groenland revêt un intérêt stratégique en raison de son emplacement – il est sur l’itinéraire le plus court pour la trajectoire d’éventuels missiles entre les Etats-Unis et la Russie – et de ses richesses minérales.