Jamais, en trois siècles, il n’avait vécu une telle première. L’habitué des festivals, le partenaire des plus grands solistes, le violon préféré du virtuose Niccolo Paganini (1782-1840), l’illustre « Il Cannone » vient de connaître un nouveau succès en France. Non pas en enchantant le public par la grâce de sa puissante sonorité, mais en se prêtant au jeu d’un de ces programmes baroques conçus par les scientifiques de la ligne de lumière BM18 du synchrotron européen (European Synchrotron Radiation Facility, ESRF), à Grenoble. Confortablement installé contre une mousse de rembourrage, dans un tube transparent placé sur un plateau tournant, protégé par une enceinte à la température et à l’humidité contrôlées, le chef-d’œuvre de lutherie a été, les 9 et 10 mars, l’objet d’une expérience promise à faire du bruit tant elle était éloignée des canons classiques. Son but, explique le physicien de l’ESRF, Luigi Paolasini : « Evaluer l’état de conservation de cette pièce historique par le recours à une technique d’analyse aux rayons X non destructive, qu’il aurait été impossible à mettre en œuvre ailleurs dans le monde. »
Fabriqué en 1743, à Crémone (Italie), par le luthier Bartolomeo Giuseppe Guarneri, dit « del Gesù », créateur de cent cinquante instruments aussi recherchés que ceux d’Antonio Stradivari par les collectionneurs prêts à débourser quelques millions d’euros, « Il Cannone » tient sa réputation de Niccolo Paganini. « Ce célèbre musicien italien a, par ses innovations en matière de jeu, sa maîtrise de techniques comme le staccato et le pizzicato, et sa théâtralité, contribué à introduire une dimension de virtuosité dans le violon, raconte le conservateur Bruce Carlson. Il a fortement influencé des compositeurs comme Schubert, Liszt, Brahms ou Schumann. Même Beethoven avait eu vent de son succès. Plusieurs de ses œuvres les plus révolutionnaires ont été élaborées sur ce violon qu’il emportait partout et auquel il avait donné le surnom d’« Il Cannone » ( « le canon ») à cause de sa puissance et de sa sonorité hors norme, poursuit M. Carlson.
Léguée à la ville de Gènes (Italie) et conservée, depuis 1851, au Palazzo Tursi, le siège de la municipalité, cette pièce historique a aussi la particularité d’avoir subi peu de modifications. « A la différence de tous les autres instruments de Guarneri, il a conservé son manche d’origine. Ce dernier a été rallongé au niveau de la partie le liant au corps, comme cela se faisait au XVIIIe siècle pour augmenter la jouabilité, mais il n’a pas été remplacé, souligne le conservateur. “Il Cannone” nous est parvenu dans l’état où il se trouvait à la mort de Paganini, en 1840. » Maintenue dans une vitrine conçue sur le modèle de celle de La Joconde, l’iconique relique ne participe qu’exceptionnellement à des concerts. L’honneur d’en jouer est un privilège réservé au gagnant du Premio Paganini, le concours international de violon, où sont présentées, tous les deux ans, à Gênes, les compositions les plus difficiles du maître, comme son très redouté « 24 Capricci ».
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