Parfois les hasards des cérémonies font bien les choses. Lundi 17 juin, la ministre de la culture, Rachida Dati, a fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres l’écrivain italien Antonio Scurati. Ce dernier s’est fait connaître en France avec son œuvre monumentale sur Benito Mussolini. Un travail de bénédictin qui permet aux lecteurs de suivre, de l’intérieur, l’itinéraire du dictateur italien. Le premier tome, M. L’enfant du siècle, est sorti en 2018 en Italie, et deux ans après en France (Les Arènes). Le troisième tome, M. Les derniers jours de l’Europe, a été publié en France en septembre 2023. Les tomes IV et V sont en cours d’écriture.
Il y a un peu plus d’un mois, M. Scurati a été censuré par la télévision publique italienne : il devait lire un texte, dans le cadre des commémorations de la libération de l’Italie, le 25 avril 1945, dénonçant l’incapacité de la droite au pouvoir, aujourd’hui, à se rallier au socle antifasciste. C’est dire si sa venue en France résonnait avec la campagne pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, où le Rassemblement national est donné favori.
« Un déclin de l’espoir »
Sous les ors du magnifique Salon des maréchaux, au ministère de la culture, Mme Dati s’est dite « ravie et honorée » de décorer M. Scurati, « en ces temps troublés » : « En nous disant de ne rien oublier, de nous souvenir des abîmes dans lesquels l’Europe s’est plongée par le passé, vous nous invitez à garder les yeux toujours ouverts face aux risques que courent nos sociétés démocratiques », a-t-elle dit, dans une allusion à peine voilée à la situation politique actuelle. Avant d’ajouter : « La culture que nous voulons est ouverte, diverse et généreuse. » Ce seront ses seules incursions dans la politique française, avant un dialogue à bâtons rompus lors de la réception qui a suivi.
Antonio Scurati est un écrivain francophile qui a fait une partie de ses études à Paris, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il n’a pas évoqué directement la situation dans l’Hexagone, ni le poids politique qu’y exerce l’extrême droite. Cependant, c’était bien là le cœur de son intervention. « Le fascisme surgissait dans mon pays il y a cent ans, à un moment de grave crise de confiance dans la démocratie, semblable à bien des égards à celle que nous traversons aujourd’hui, a-t-il énoncé. Il s’agissait, alors comme aujourd’hui, d’une crise de confiance dans l’avenir, d’un déclin de l’espoir. », a-t-il exposé.
La peur transformée en « haine »
Et l’écrivain de continuer : « Par rapport à il y a cent ans, les différences sont nombreuses et profondes. Toutefois, aujourd’hui s’est levé de nouveau ce même vent réactionnaire qui souffle sur la peur du peuple, sur les passions tristes, sur le ressentiment envers le système, sur la rancœur, sur le sentiment de déception et de trahison des classes moyennes appauvries, sur les citoyens effrayés par des changements d’époque. » Pour l’auteur, ce vent « malsain » transforme même la peur en « haine ».
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