L’histoire a débuté dans le fracas, le sang, la tension. Le jeudi 20 mars 1986, François Mitterrand vient à peine de nommer premier ministre son ennemi juré, Jacques Chirac, qu’une bombe explose dans une galerie marchande des Champs-Elysées, à Paris. Deux morts, une vingtaine de blessés. Un attentat lié au conflit au Liban. A peine arrivé à Matignon, après la victoire de la droite aux élections législatives du 16 mars, le nouveau chef du gouvernement doit filer sur les lieux du drame. L’« état de grâce » aura duré trois heures. Deux jours plus tard, au premier conseil des ministres, François Mitterrand, le visage blême, refuse de serrer les mains des ministres comme de poser pour la traditionnelle « photo de famille »…
Du bruit, des larmes, des phrases assassines et des bras de fer, les trois cohabitations qu’a connues la Ve République en ont été émaillées. Mais ce qui frappe, avec le recul, c’est que la vie politique ne s’est pas arrêtée pour autant. Contrairement à ce qu’anticipaient certains, les gouvernements concernés n’ont pas été bloqués par le président de la République qui leur était hostile. Vaille que vaille, Jacques Chirac (1986-1988), Edouard Balladur (1993-1995) puis Lionel Jospin (1997-2002) ont réussi à gérer le pays et à prendre des décisions parfois marquantes.
Bien que non prévu explicitement dans la Constitution du 4 octobre 1958, ce mode de fonctionnement politique s’est acclimaté au point de devenir presque banal. Depuis cette journée inaugurale du 20 mars 1986, la France a vécu 3 361 jours de cohabitation entre un président de la République et un premier ministre de camps opposés. Plus de neuf ans au total, en trois épisodes concentrés entre 1986 et 2002. En attendant peut-être un quatrième, entre Emmanuel Macron et un gouvernement de gauche ou d’extrême droite. Cette dernière configuration poserait sans doute des difficultés inédites, compte tenu du projet nationaliste et xénophobe du Rassemblement national, et de son rapport particulier à la démocratie.
En mars 1986, quand la coalition de droite remporte les législatives, avec quelque 44 % des suffrages exprimés, la France bascule dans l’inconnu. Depuis la fondation de la Ve République par le général de Gaulle, c’est la première fois que pouvoir présidentiel et majorité parlementaire ne concordent pas. Le pays va-t-il verser dans le chaos ? Etre paralysé ? Le locataire de l’Elysée doit-il démissionner pour éviter la « dyarchie au sommet » jugée inacceptable par de Gaulle dans une formule de 1964 restée célèbre ?
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