Lors des dépouillements aux élections législatives anticipées, il leur a fallu, de nouveau, répéter le nom d’un candidat du Rassemblement national (RN) des dizaines de fois. Ils étaient déjà passés par là en 2022, en 2017… Avec, à chaque fois, davantage de voix qui s’agrègent. La montée de l’extrême droite, voilà des années que les maires ruraux la subissent et tentent de l’endiguer.
Maire socialiste de Bram, 3 300 habitants, dans le Lauragais audois (Aude), Claudie Faucon Mejean ne s’habitue pas. Certes, le parti de Marine Le Pen a raté la dernière marche du pouvoir. Mais dans son département, terre viticole historiquement très à gauche du Midi rouge, les trois députés RN sortants ont de nouveau fait le grand chelem. « C’est raide, vraiment raide. J’ai versé quelques larmes », raconte-t-elle. Réélue maire depuis 2011, l’édile est frappée par le fossé qui se creuse entre le local et le national : « Les mêmes qui me donnent 72 % au premier tour des municipales me disent “vous savez qu’on est avec vous, hein, c’est super ce que vous faites, par contre là, on vote Bardella parce qu’il y en a marre”. » Et cette fameuse phrase : « On n’a pas essayé. »
« C’est pas contre toi, Gilles, mais ça peut plus durer : on fait que payer, les feignants, y en a marre », s’entend également dire Gilles Noël, maire (divers gauche) de Varzy et président des maires ruraux de la Nièvre. Le 7 juillet, la circonscription historique de « Tonton » Mitterrand est elle aussi tombée dans l’escarcelle du RN – Julien Guibert a été élu à 54,8 % face à Christian Paul, une figure du Parti socialiste (PS) investie par le parti contre l’avis de la fédération locale, qui avait une autre candidate. Un séisme politique local et la confirmation que plus aucun territoire ne résiste.
« Pour nous, c’est la double peine »
Conscients que leur action n’est pas en cause dans ce vote national, les élus de terrain n’en accusent pas moins le coup, eux qui se veulent des repères et des remparts républicains dans un climat politique déchiré. « Nous, les maires ruraux, on est désemparés, on sait plus quoi faire, lâche Gilles Noël. On se dit “comment diable je peux continuer à travailler sur le vivre-ensemble si je n’arrive pas à trouver les mots pour que mes administrés puissent prendre de la distance et revoir leur vote ?” »
« Pour nous, c’est la double peine : on avait déjà le RN et on ne bénéficie pas du sursaut républicain qui a eu lieu ailleurs », renchérit Mme Faucon Mejean. Bien placée pour parler de la « concurrence des misères » qu’instrumentalise le RN dans un département qui compte parmi les plus pauvres de France et accueille une forte main-d’œuvre immigrée, l’élue ne ménage pas ses efforts pour améliorer le quotidien avec les moyens disponibles : cantine à 1 euro, tarification sociale pour l’eau, offre d’un vélo aux enfants, coup de pouce pour le permis… « Et on peut pas dire que Bram est une commune abandonnée. On a une sortie d’autoroute, une gare, ce qu’il faut de services, encore quelques médecins. »
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