On reconnaît un nom sur une carte, puis un autre. Des bouffées de souvenirs remontent et la tentation est trop grande : « C’est là où j’allais en vacances petit ! » Et pourtant, aussi alléchante que soit cette perspective, emmener ses compagnons sur les lieux de ses vacances d’enfance est un bide assuré.
Déjà, en arrivant, les choses ont changé, le village suisse a rétréci, la côte sauvage a rapetissé, les dunes sont plus petites, les rochers moins hauts. Même les menus de la crêperie paraissent plus courts et les parfums de glace moins alléchants. Et, comme on est devenu adulte, on découvre qu’ils ont un prix.
Ceux qu’on traîne sur place ont du mal à se laisser convaincre que la Costa Brava à l’époque, c’était plein de charme, que le littoral vendéen était une suite de petits villages ou qu’il y avait beaucoup moins de touristes à Carnac-Plage. On a beau leur enfiler les lunettes des « trente glorieuses », ils s’avèrent incapables de voir correctement les paysages. Ils regardent la plage et ne voient que des immeubles des années 1970 mal vieillis, des voitures pare-chocs contre pare-chocs qui n’ont trouvé nulle part où se garer correctement. Un peu comme des visiteurs d’une installation d’art contemporain, ils ne savent pas combien de temps ils sont supposés admirer le moche sous leurs yeux.
Tabarly est parti
Ceux qui se font embarquer dans ces visites doivent faire preuve d’un brin d’abnégation et de beaucoup d’imagination. Les voilà tenus de regarder tout ce qu’ils ne peuvent pas voir (« alors, là, à l’époque, il n’y avait aucun chalet… »), de participer à des pèlerinages à l’endroit de la fameuse chute de vélo ou devant des boîtes de nuit fermées depuis vingt ans (et c’est tant mieux, car vouloir y retourner aurait été encore plus problématique), d’écouter des histoires de noms qui n’existent plus (« le Pen-Duick-VI de Tabarly était amarré juste là ! », « J’avais mis ma serviette à côté de celle de Louison Bobet à la plage ! »). Malgré leur bonne volonté, ceux qui s’infligent ces vacances dans l’enfance des autres s’avèrent généralement incapables de manifester le niveau de surprise attendu.
Impossible en effet de partager son émotion avec celui qui ne sait pas que, sur ce parking, on jouait au jokari, que des buissons pleins de poussière servaient de cachette à cache-cache. « C’est un peu comme de présenter son meilleur copain de lycée à ses amis actuels et être surpris qu’ils n’accrochent pas », m’a confié une amie, qui a tenté d’emmener son conjoint dans un VVF où elle avait ses meilleurs souvenirs de vacances. On ne sait pas ce qui est le plus ravageur : être forcé de porter un nouveau regard sur son enfance ou être déçu par l’étroitesse d’esprit de ses proches.
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