
Au Yémen, le choix du film qui devait être envoyé aux Oscars n’a pas suscité de turbulences, comme en France. Il n’y avait pas trente-six possibilités : Les Lueurs d’Aden, deuxième long-métrage d’Amr Gamal, sorti en salle le 31 janvier, s’est imposé et représentera le petit pays qui n’en finit pas d’être miné par les guerres et les conflits internes. Un couple, accablé par la hausse des prix, et par un quotidien fragile (coupures d’électricité, écoles publiques à bout de souffle…), attend son quatrième enfant, mais n’a plus assez d’argent pour l’élever correctement. Ahmed et Isra vont tout faire pour interrompre cette grossesse, dans un pays où l’avortement est interdit.
Le réalisateur et metteur en scène, né en 1983, filme et crée des spectacles pour documenter son pays, ou plutôt sa ville d’Aden. A distance, depuis le festival de Pune, à l’est de Bombay, en Inde, où il présentait son film en compétition, Amr Gamal nous raconte son incroyable parcours d’autodidacte.
Il est né en Pologne, de parents yéménites, et c’est seulement en 1989 que sa famille s’installe à Aden. Il avait 6 ans. La ville était vivante, mais cela ne dura pas longtemps. Pour mémoire, depuis 1967, après le départ des colons britanniques, le Yémen du Sud s’était autoproclamé République démocratique populaire du Yémen, et s’était rangé derrière l’Union soviétique. En 1990, le nord et le sud du pays ont été réunifiés, sous l’autorité du président et dictateur Ali Abdallah Saleh (1947-2017) – lequel sera renversé en 2012 dans la foulée du « printemps arabe ».
« Une immense bouffée de nostalgie »
Dans les années 1990, une vague islamiste a emporté les cinémas et les théâtres d’Aden, qui ont tous fermé. « Les bobines de films et tout le matériel de tournage ont été emmenés dans le nord du pays, explique Amr Gamal. Je voyais cela avec mes yeux d’enfant, j’étais triste. Je me disais : “Pourquoi font-ils cela à ma ville ?” Dès ce moment, j’ai eu envie de documenter, de garder la trace. »
Le jeune homme a appris le cinéma sur le tas. « J’ai fait des études d’ingénieur tout en faisant du théâtre avec un collectif. On a créé des pièces, puis on m’a proposé de tourner des séries. » Amr Gamal a réalisé un premier long-métrage en 2018, Ten Days Before the Wedding, également téléporté aux Oscars, mais encore fallait-il le projeter à Aden. « Nous avons loué deux salles de mariage, et dans chacune d’elles nous avons accroché un grand panneau en bois, peint en blanc, pour faire un écran. Il y a eu du bouche-à-oreille, et on a vendu 70 000 billets. Le film est resté huit mois à l’affiche ! Dès que vous dites “cinéma”, à Aden, les gens viennent, c’est comme une immense bouffée de nostalgie. »
Il vous reste 45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.