
CANNES CLASSICS
CANNES PREMIÈRE
Se succèdent à Cannes la projection autour du dernier projet de Jean-Luc Godard (vendredi 17 mai à Cannes Classics) et celle de l’autoportrait en cours de fabrication de Leos Carax (samedi 18 mai à Cannes Première), que l’on a souvent désigné, dans la généalogie esthétique du cinéma français, comme une sorte de fils putatif du premier.
Il s’agit en l’espèce de deux films courts et atypiques, par le rapprochement desquels les programmateurs du Festival nous invitent sans doute à considérer successivement les deux plus grandes machines à « dé-penser » du cinéma français, aussi irréductibles l’une que l’autre, en leur être comme en leur œuvre, aux tentatives d’arraisonnement. Père et fils, donc. L’un remonte de sa tombe, l’autre descend en lui-même.
S’agissant du vieil enfant terrible, mort le 13 septembre 2022 par suicide assisté, il y a un certain étonnement à considérer un nouveau « dernier film », alors même que le registre posthume semblait épuisé par la présentation, en 2023, en ces lieux mêmes, d’un autre « dernier film », intitulé de manière godardienne Film annonce d’un film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres », sorti en salle pas plus tard que le mercredi 8 mai sous la forme du filmage d’une vingtaine de minutes des feuilles de format A5 sur lesquelles Godard avait composé son projet.
La situation tient au fait qu’en ses dernières années, Jean-Luc Godard, définitivement retiré à Rolle, en Suisse, mais toujours animé par l’esprit de recherche, continuait de concevoir, généralement sur papier, des montages de fragments d’œuvres préexistantes – prélevées à la peinture, au cinéma, à la photographie, à la littérature – sur le modèle de son grand œuvre Histoire(s) du cinéma (1988-1998).
Une équipe de collaborateurs et de proches – la productrice Mitra Farahani, le monteur et réalisateur Fabrice Aragno, le directeur de production Jean-Paul Battaggia, l’historienne Nicole Brenez – se sont donc attachés, guidés par sa pensée, à perpétuer les ultimes cogitations du cinéaste.
Il y aurait à cet égard deux manières de les considérer. La première tiendrait que Le Livre d’image (2018) est le seul et véritable dernier film de Jean-Luc Godard, tel que voulu et réalisé par ses soins, le reste ressortissant à la piété des fidèles et à la constitution de reliques. La seconde se recommanderait de son génie pour considérer que la lumière d’une étoile brille bien après sa mort, mais aussi du fait que Godard, à la fin de sa vie, était tenté de ne plus filmer que les idées de films plutôt que les films eux-mêmes, ce que l’on est tout à fait prêt à croire. En tout état de cause, c’est ainsi que l’on se tient, aujourd’hui, partagé entre ces deux hypothèses, devant Scénarios.
Il vous reste 46.29% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.