« Je suis tellement triste pour notre ville. Ils ne se contentent plus de viser les gens. C’est désormais notre histoire et notre patrimoine qui sont en danger. » Mohamed Awada, adjoint au maire chargé du tourisme et du patrimoine de la ville de Baalbek, est désemparé. Les 150 000 visiteurs qui se pressaient chaque été pour visiter les sites millénaires de la ville ne sont plus qu’un lointain souvenir. Les temples de la cité, vestiges parmi les plus imposants de l’architecture romaine à son apogée, veillent sur une ville en guerre et en souffrance. Le 6 novembre, des dizaines d’habitants ont été tués par une série de frappes israéliennes dont l’une a touché les abords immédiats de l’acropole.
Une poussière grisâtre recouvre le parking, les carcasses de véhicules carbonisés et vient lécher les colonnes de Boustan Al-Khan, l’odéon qui marque l’entrée d’un site deux fois millénaire. Du bâtiment en pierres dit « Menchiyé » et ses arcades décorés d’arabesques, construit en 1928 dans un style ottoman, il ne reste qu’un tas de gravats. C’est là que, vers 19 heures, un missile israélien s’est abattu à 50 mètres du périmètre du site, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Le souffle de l’explosion a également fait voler fenêtres et éléments de façade de l’hôtel Palmyre, ouvert en 1874, qui offre une vue spectaculaire sur les temples de Bacchus et de Jupiter, les deux joyaux de la ville.
Deux églises, une maronite et une orthodoxe, Saydet Al-Maounet et Mar Gerios, blotties l’une contre l’autre devant l’entrée du temple, ont subi des dégâts au niveau de la toiture, des boiseries et des vitrages. Une vingtaine de familles, pour la plupart chiites, qui s’y étaient réfugiées depuis le 23 septembre, ont fui les lieux. Seul Abou George, gardien désespéré des deux églises, est resté. « Regardez les vitres, l’état des tuiles, les fissures… Pourquoi nous faire cela ? », demande-t-il, encore hébété. Il se souvient s’être recroquevillé contre un mur au moment de la frappe, sonné, alors que les cris de panique des réfugiés emplissaient le lieu de culte. En face, toutes les façades présentent des degrés divers de dégâts dans une ville parsemée d’immeubles effondrés.
« C’est un crime »
« C’est un patrimoine mondial. On ne peut pas laisser bombarder un tel lieu, s’indigne Mohamed Awada, l’adjoint au maire. Quelles qu’en soient les raisons ou sous prétexte de la présence d’un ou deux membres du Hezbollah. C’est une question de proportionnalité, c’est un crime. Il n’y a pas de rampes de missiles, ici. A chaque fois qu’ils visent une personne, ils tuent des familles entières. C’est aussi un message : nous frappons où nous voulons et nous nous moquons de vos vies et de votre patrimoine. »
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