L’atmosphère était étouffante dans le centre de détention pour migrants de Ciudad Juarez, au Mexique, dans la soirée du 27 mars 2023. Inquiets quant à une possible expulsion et échaudés par les réflexions xénophobes des gardiens, des détenus ont empilé des couchettes puis y ont mis le feu. Alors que les flammes et la fumée se propageaient dans le bâtiment, qui n’avait pas d’extincteurs, les agents ont abandonné les migrants dans leur cellule verrouillée, insensibles aux cris d’un jeune Vénézuélien qui suppliait de ne pas les laisser mourir là. « Bonne chance les gars », a ironisé l’un d’eux en partant. La tragédie a saisi d’effroi la société mexicaine : 40 hommes sont morts et 27 ont été gravement brûlés ou intoxiqués au monoxyde de carbone.
Un an plus tard, des ONG ont révélé les conditions « inhumaines » dans ce centre de détention, où l’eau et la nourriture manquaient et où les détenus indociles étaient traînés dans une « salle de punition » pour être frappés ou soumis à des électrochocs. Des salles similaires existent dans au moins deux autres centres de rétention au Mexique, selon une enquête de la Commission nationale des droits humains, qui a conclu que ces lieux sont « pires que des prisons ». Pourtant, migrer sans papiers n’est pas considéré comme un délit au Mexique.
L’incendie a mis en lumière les violations des droits humains des migrants depuis une dizaine d’années dans le pays et poursuivies par le président Andres Manuel Lopez Obrador (surnommé « AMLO »), au pouvoir depuis 2018. « Le Mexique applique une politique migratoire qui tue », soutient Ana Lorena Delgadillo, directrice de la Fondation pour la justice. Selon l’activiste, la tragédie de Ciudad Juarez « n’est pas un cas isolé », mais le résultat d’une stratégie qui « traite les migrants comme des délinquants » et les expose aux abus des autorités ou des groupes criminels.
« Profondément immoral »
Lors de leur passage au Mexique, les migrants sont victimes d’extorsion, de viol, de kidnapping, de disparition et de meurtre ; depuis 2010, cinq massacres de migrants ont été documentés. « Tout cela continue grâce à l’impunité, il n’y a presque jamais d’enquête », se lamente Mme Delgadillo.
Située dans l’Etat de Chihuahua, dans le nord du Mexique, Ciudad Juarez est accolée à El Paso, au Texas. Comme d’autres villes situées sur les 3 000 kilomètres de frontière qui séparent le Mexique et les Etats-Unis, Ciudad Juarez est devenue une salle d’attente pour migrants et demandeurs d’asile désireux de passer « de l’autre côté ». Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, les profils des migrants qui traversent le Mexique se sont diversifiés : aux jeunes du Honduras, du Guatemala ou du Salvador se sont ajoutés des centaines de milliers de citoyens d’Haïti, de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela ou d’autres pays d’Amérique du Sud.
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