A l’approche de Saint-Elie-de-Caxton, une bourgade de 2 000 habitants, située entre Montréal et Québec, au nord du fleuve Saint-Laurent, impossible d’ignorer qu’en cet hiver 2024 la population est sur le pied de guerre : la rue principale est bordée de larges panneaux, barrés du slogan « Saint-Elie, incompatible avec l’activité minière ».

Il y a près d’un an, en mars 2023, les habitants ont observé au-dessus de leur tête et de celles des citoyens de deux autres communes environnantes, le passage d’un hélicoptère traînant derrière lui un large cerceau. Ils apprendront quelques jours plus tard, grâce au journal local, Le Nouvelliste, que le cerceau n’est autre qu’une sonde électromagnétique destinée à dresser la carte des métaux présents sur leur territoire, que l’aéronef appartient à une compagnie minière, et, « cerise sur le sundae » selon l’expression québécoise, que l’essentiel de leur sous-sol est passé, sans qu’ils le sachent, aux mains de six d’entre elles.
L’une de ces sociétés, la Lincoln Gold Mining, établie en Colombie-Britannique, projette d’ouvrir une mine de nickel à ciel ouvert, dans la commune voisine de Saint-Boniface. A cette nouvelle, le sang de Gilbert Guérin, un résident de Saint-Elie-de-Caxton, ne fait qu’un tour : en 2011 déjà, il avait joué le rôle de lanceur d’alerte pour contrer l’appétit d’une première compagnie et l’empêcher de poursuivre ses travaux d’exploration. Bis repetita plus d’une décennie plus tard ; aux côtés d’élus et de citoyens inquiets, l’actif retraité repart à l’offensive.
Une loi datant de la conquête du Far West
Au Canada, à trois pieds sous terre, soit un mètre de profondeur, le sous-sol n’appartient pas aux propriétaires des terres ou des maisons, mais à la Couronne, c’est-à-dire aux provinces.
Et la loi sur les mines qui prévaut date de 1864, en pleine conquête du Far West ; au XIXe siècle, les prospecteurs d’or du Klondike, dans l’Ouest canadien, plantaient deux poteaux et versaient quelques cents pour acquérir leur claim, un titre de propriété minière leur conférant le droit exclusif d’explorer puis d’exploiter un éventuel filon. Cette philosophie du free mining est toujours d’actualité au Québec. Elle a même gagné en facilité : un simple clic sur le site gouvernemental et le versement de 77 dollars (52 euros) permettent à n’importe qui rêvant de tomber sur un gisement d’envergure d’acquérir 50 hectares de sous-sol.


La frénésie, qui s’est emparée des compagnies minières du monde entier, pour les minéraux critiques destinés à alimenter le virage « électrique » de la transition énergétique, s’est abattue sur le Québec. Son sous-sol, riche en nickel, lithium, graphite, zinc ou cobalt, dont les cours boursiers s’annoncent prometteurs à long terme, attise toutes les convoitises : en janvier, la carte de la province était tapissée de 352 852 claims, concédés pour une période de deux ans, et facilement renouvelables en échange de la promesse d’y mener quelques travaux d’exploration.
Il vous reste 75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.