Il pleut tellement en cette fin mai sur ce coin du Yorkshire que le paysage, succession de collines verdoyantes et de villages aux maisonnettes en brique, ressemble à une peinture délavée. Dans un vallon protégé du vacarme de l’autoroute M1 reliant Sheffield à Barnsley, le cottage de Betty Cook est un havre bienvenu, chaud et douillet. Sur la commode, aux murs, au pied de la cheminée, les souvenirs défilent : des photographies de ses enfants et petits-enfants, une collection de lampes de mineurs en laiton parfaitement briquées. La vieille dame, 86 ans, frêle, les yeux pétillants, est calée dans son canapé, un chat ronronnant à ses côtés.
Dans cette région du nord de l’Angleterre au glorieux passé industriel, Betty Cook est une figure connue. Elle s’est illustrée dans la grève des mineurs de 1984 à 1985. Cet épique conflit social de douze mois entre le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher et la National Union of Mineworkers (NUM), le puissant syndicat des mineurs, constitua un moment de bascule historique. Quarante ans plus tard, le mouvement syndical ne s’en est pas vraiment remis, les mines ont toutes fermé et ces ex-bassins industriels sont parmi les endroits les plus pauvres du Royaume-Uni.
Au début des années 1980, les mineurs sont encore les ouvriers les mieux organisés du pays. Ils sont fiers d’avoir contribué à la première révolution industrielle, née entre Liverpool, Birmingham et Newcastle à la fin du XVIIIe siècle. Leur métier paye bien, mais il est éprouvant et il tue trop souvent : brutalement, lors des accidents de mine ou plus lentement, en grignotant les poumons.
La NUM représente à cette époque cent soixante-dix mille travailleurs, elle est dirigée par Arthur Scargill. De novembre 1973 à mars 1974, cette figure du Yorkshire controversée et diabolisée par la droite s’était illustrée comme l’un des meneurs de la grève qui avait privé le pays de charbon. La NUM avait alors obtenu d’importantes augmentations de salaires et contribué à faire tomber le gouvernement conservateur d’Edward Heath.
« La grève a changé ma vie »
Quand elle devient première ministre, en 1979, Margaret Thatcher veut sa revanche. Trois ans plus tard, elle est confortée par la victoire du pays contre l’Argentine, dans la guerre des Malouines. La production de charbon a nettement ralenti, le monde occidental basculant vers le pétrole. La cheffe du gouvernement veut accélérer la fermeture des mines, mais aussi casser les reins des syndicats.
Quand les mineurs se mettent en grève en mars 1984 pour protéger leurs collieries (« mines de charbon »), elle les qualifie même en privé d’« ennemis de l’intérieur ». Les confrontations avec la police seront violentes. Et la NUM est divisée : si le Yorkshire, l’Ecosse ou le Pays de Galles suivent massivement, les grévistes sont minoritaires dans le Leicestershire ou le Nottinghamshire. En mars 1985, les mineurs désargentés reprennent le travail sans avoir rien obtenu. Cette brutale opposition vaudra à Margaret Thatcher son surnom de « Dame de fer ».
Il vous reste 84.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.