C’est un événement qui se produit vers l’âge de 6 ans : une nuit, la « fée des dents » vient, sur la pointe des ailes, glisser une pièce ou un petit billet sous l’oreiller de l’enfant au sourire désormais troué. Mais aux Etats-Unis, cette obole est en chute : la valeur moyenne d’une dent de lait aurait perdu 6 % entre 2023 et 2024, glissant de 6,23 à 5,84 dollars, d’après une étude publiée en février.
L’idée étonnante de suivre le cours de la dent de lait a émergé il y a vingt-six ans. C’est une mutuelle, Delta Dental, qui y a pensé. En un peu plus d’un quart de siècle, la somme offerte à un enfant a augmenté de 349 %. Cette année, cette compagnie a publié un graphique superposant la courbe du cours de la dent de lait et celle du S&P 500, l’indice boursier fondé sur cinq cents grandes sociétés cotées aux Etats-Unis. Depuis 2001, elles évoluaient dans la même direction. Mais l’année dernière, l’indice S&P a gagné 20 % tandis que la somme moyenne accordée pour la perte d’une dent de lait a décroché. De là à voir dans cette chute un signe du début de la fin de l’inflation, il n’y a qu’un pas, que la mutuelle franchit.
En tant que parent français de passage aux Etats-Unis, on serait plutôt tenté d’y lire une preuve de plus du décrochage de l’économie européenne, derrière les Etats-Unis. Impression confirmée par une amie américaine, installée à Paris : « Plus de 6 dollars la dent… Dire que je ne donne que 1 euro ici », souffle-t-elle. « Et en France, votre petit lapin, il donne aussi de l’argent ? » Las, elle confond la France avec le Salvador, où un lapin passe effectivement ramasser les dents, comme nous l’apprend Throw your Tooth on the Roof (« jette ta dent sur le toit »). Ce livre de Selby Beeler, publié en 1998 par Houghton Mifflin Company et non traduit, présente un tour du monde des traditions liées à la perte des premières incisives, de l’Afghanistan à l’Egypte en passant par le Botswana.
Une occasion de parler d’argent
Quand j’ai dit à mon amie américaine que c’était un rongeur qui s’en chargeait chez nous, elle a eu l’air écœuré. « Une souris ? Mais c’est dégoûtant ! Une souris qui vient dans votre lit la nuit, c’est cauchemardesque… » Aux Etats-Unis, la fée des dents se promène dans les airs et reste à distance, c’est plus hygiénique que d’avoir un mammifère, même petit, qui vient traîner sous votre oreiller.
Reste aussi le message transmis à l’enfant. Si Delta Dental estime que cette croyance est un bon moyen d’amorcer une conversation avec son enfant sur l’hygiène dentaire (la fée des dents peut laisser un petit mot conseillant de mieux se brosser les dents, voire déposer du fil dentaire), certains y voient une occasion de parler d’argent. Ron Lieber, auteur en 2015 de The Opposite of Spoiled : Raising Kids who are Grounded, Generous, and Smart about Money (« le contraire de gâté : élever des enfants qui ont les pieds sur terre, sont généreux et ont une bonne connaissance de l’argent », Harper, non traduit), estime, par exemple, que le passage de la fée peut être, pour l’enfant, une première occasion de posséder de l’argent liquide et, donc, d’en apprécier la valeur.
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