N’est-ce pas le propre des plus belles histoires d’amour que d’être inattendues et presque insignifiantes en leur commencement ? Les êtres s’attachent avant même d’en avoir conscience, aucun mot n’a encore été prononcé et, déjà, ils en pincent l’un pour l’autre. Ainsi des aventures de Brady Brandwood et de son ami Leon. N’était le titre de la vidéo (« Keeping A Grocery Store Lobster As A Pet », « faire d’un homard d’épicerie un animal de compagnie », en version française), les images d’un aquarium désaffecté et la boucle musicale digne d’une mise en attente téléphonique ne laisseraient rien présager de la romance qui débute sous nos yeux.
En septembre 2021, ce vidéaste américain décide de remettre en service un bassin intérieur de 200 litres. Il ne nous cache aucun détail du lieu de la rencontre avec l’heureux futur locataire, sans aucun doute l’un des crustacés les plus chanceux de son espèce : directement au rayon poissonnerie du supermarché local. Crûment, notre aquariophile confie même en voix off que le homard est « sa nourriture des grandes occasions préférée », alors que le « fruit de mer » vivant et emballé dans son carton de transport glisse sur le tapis automatique d’une caisse enregistreuse. Un frisson a-t-il parcouru l’échine de l’animal ?
Bien vite, la bête est installée dans sa nouvelle demeure. Commence alors une touchante acclimatation des deux côtés de la paroi de verre. Libération des pinces entravées par des élastiques, premier repas de microboulettes de poisson pour Leon, qui reçoit officiellement son nom de baptême au cours de cette première immersion. Le propriétaire, satisfait et curieux, admire, lui, l’armure de son nouveau protégé, toute hérissée de pointes rouges. Bientôt des vers de terre sont jetés en pâture au crustacé adoré qui se dégourdit progressivement les dix pattes et bénéficie même d’une aide à la rééducation pour regagner le plein usage de ses pinces.
Sans vouloir vous divulgâcher la série de vidéos qui vont suivre, sachez qu’au fil des mois Leon connaîtra une rémission spectaculaire, qu’il aura l’occasion de dévorer bien d’autres aliments que des lombrics − a priori, ils ne doivent pas faire partie du régime alimentaire standard d’un homard −, et qu’un beau jour il devra même changer de carapace puis de maison.
A aucun moment Brady Brandwood ne semble expliquer son geste initial. Pourquoi avoir décidé d’adopter un homard ? S’agit-il de rendre hommage au poète maudit Gérard de Nerval, qui, dans un célèbre accès d’excentricité, traversa en 1841 le Palais-Royal, à Paris, en menant au bout d’une laisse un crustacé − il n’est d’ailleurs pas certain que cette promenade fût sans effet sur la santé de l’animal ? Peut-être a-t-il ricané, en 1998, en regardant l’épisode 7 de la dixième saison des Simpson au cours duquel Homer adopte, lui aussi, un homard pour l’engraisser avant de s’attacher à lui finalement ? Las, le malheureux Mr. Pinchy s’ébouillantera dans son bain et finira comme prévu sur la table du dîner familial.
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