Le thermomètre affiche 44 °C à Hammamet, station balnéaire située à une soixantaine de kilomètres au sud de Tunis, en ce dimanche 23 juillet 2023. L’air est brûlant. Les eaux claires du golfe ne permettent plus de se rafraîchir. La plage est presque vide de ses vacanciers. Nombreux à venir de l’étranger et du reste du pays pour profiter de la mer et des attractions culturelles de la région, ils sont pour la plupart restés cloîtrés dans leurs hôtels, à l’abri des fortes températures qui touchent le pays depuis plusieurs jours.
La fréquence des événements caniculaires a nettement augmenté cette dernière décennie sur l’ensemble de la Tunisie en raison du réchauffement climatique. Ils pèsent lourd sur le secteur touristique tunisien, qui génère plus de 14 % du produit intérieur brut du pays selon une étude du cabinet KPMG publiée en 2019. « Les effets, nous les voyons en premier lieu sur les factures d’électricité », du fait d’une plus forte utilisation de l’air climatisé, explique Ramzi Akrout, directeur de l’hôtel Sindbad, au bord du golfe de Hammamet. « Lorsque l’on fait des réunions d’exploitation, on se rend bien compte que les pics de consommation correspondent aux pics de chaleur », souligne-t-il.
Autre point de tension : l’eau. Douches, chasses d’eau, piscines, nettoyage, cuisines… « Les hôtels en consomment énormément », reconnaît M. Akrout, alors que la Tunisie connaît une diminution de ses ressources hydriques. Sinistré par la pandémie de Covid-19, le secteur touristique échappe pour le moment au rationnement instauré par les autorités au printemps 2023 pour limiter la consommation. « Ça crée un mécontentement chez la population », confrontée pour sa part à des coupures quotidiennes et très critiques face à ce régime d’exception, concède M. Akrout.
A Hammamet, les professionnels du secteur regardent, impuissants, l’érosion du littoral. La plage a perdu près de trois hectares de sa superficie au cours des trente dernières années. Une réduction causée par les effets combinés de « l’élévation de la mer », la multiplication des tempêtes et la construction d’obstacles à la circulation du sable comme « les barrages sur les fleuves et rivières qui empêchent le charriage du sable vers la mer » et les ports, explique le directeur de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL), Mehdi Belhaj.
« Si ça continue, les clients iront vers d’autres destinations »
Il arrive désormais que les vagues viennent caresser directement les constructions du littoral, engloutissant toute la plage. « Si ça continue, les clients iront vers d’autres destinations », s’alarme Ramzi Akrout. « Toutes les destinations concurrentes subissent les mêmes problèmes liés au changement climatique, tempère cependant Narjess Bouasker, la directrice de l’hôtel Menara à Hammamet et présidente de la Fédération régionale de l’hôtellerie. La différence avec l’Europe, c’est l’implication du gouvernement pour faire face à ce problème. Malheureusement en Tunisie, on ne sent pas que ce soit une priorité. »
Dans un rapport publié en novembre 2023, la Banque mondiale préconise à la Tunisie pour se prémunir des conséquences économiques du changement climatique de diversifier ses activités touristiques, aujourd’hui tournées majoritairement vers le balnéaire – 90 % des lits disponibles sont situés proche de la mer –, de développer un tourisme respectueux de l’environnement et d’engager des mesures urgentes pour protéger le littoral.
Organisation de colloques, envois de courriels, manifestation devant la municipalité… Mme Bouasker a bien tenté, avec d’autres acteurs locaux, d’alerter les pouvoirs publics sur l’état de la plage de Hammamet mais les solutions proposées sont, selon elle, inadéquates et insuffisantes. « L’année dernière, les services municipaux sont venus ajouter du sable à certains endroits de la plage, mais deux semaines plus tard il n’en restait plus rien », soupire la présidente de la Fédération régionale de l’hôtellerie.
« Les solutions sont coûteuses », défend Mehdi Belhaj, directeur de l’APAL. Le rechargement en sable d’un kilomètre de plage coûte près de 3 millions de dinars (près de 900 000 euros) et le phénomène est loin d’être circonscrit au seul golfe de Hammamet : 340 des 600 kilomètres de plage sablonneuse que compte la Tunisie sont soumis à une forte érosion. Pour l’heure, seulement 8 % de ces plages ont pu être protégées.
Le secteur touristique obligé de s’adapter
De leurs côtés, les établissements hôteliers sont de plus en plus nombreux à mettre en place des solutions à leur échelle. Au Sindbad, « nous avons fait installer des économiseurs partout où il y a un robinet. Nous filtrons l’eau des piscines ce qui évite d’avoir à les vider et à les remplir à nouveau d’une année à l’autre. Nous récupérons les eaux de pluie », énumère M. Akrout, précisant que son hôtel sensibilise son personnel à ces questions.
Au Menara, l’eau est désormais chauffée par des moyens solaires. Mme Bouasker a pu mettre en place ce système avec le soutien de l’Agence nationale de maîtrise de l’énergie. « Tous les établissements n’ont malheureusement pas les moyens de faire ces investissements d’autant que beaucoup se remettent à peine du Covid et qu’ils n’ont pas accès facilement à des crédits », regrette cependant l’hôtelière. En 2023, l’affluence touristique en Tunisie a pour la première fois dépassé les niveaux antérieurs à la pandémie de Covid-19 mais pour maintenir une telle vitalité, le secteur se voit obligé de continuer à s’adapter.