Au lendemain du 7 octobre 2023, jour de l’attaque du Hamas contre Israël, Elie se promène dans Paris pour faire des courses avec sa mère lorsqu’un malaise s’insinue dans leur discussion. Alors qu’ils évoquent le massacre, l’ingénieur de 26 ans (qui a souhaité rester anonyme) le dit comme il le pense : il ne se sent pas « émotionnellement impliqué » par ces événements qui se déroulent à 5 000 kilomètres de Paris, au Proche-Orient. Il se désole de la mort de mille deux cents victimes innocentes, bien sûr, mais ni plus ni moins que si l’attentat s’était produit dans une autre contrée éloignée.
« Ma mère était outrée, scandalisée, se souvient-il dans un café du centre de la capitale, col roulé et barbe de trois jours. Pour elle, ces propos étaient inaudibles de la part d’un juif. Je devais nécessairement ressentir de la colère et de la tristesse. » Lui voit les choses différemment et explique surtout redouter alors l’« implication haineuse et colérique » que va entraîner cette attaque terroriste, avec son lot de tensions communautaires partout dans le monde : « J’ai tout de suite pensé aux répercussions pour la communauté arabo-musulmane en France », ajoute le jeune homme.
Les jours suivants, la tension ne retombe pas. Elie, qui se dit proche d’Europe Ecologie-Les Verts, voit la riposte de l’Etat hébreu comme une « réponse disproportionnée », alors que sa famille (des Ashkénazes dont quelques membres vivent en Israël) soutient le droit de l’Etat hébreu à se défendre. « Se servir de l’histoire pour justifier la violence n’est pas possible », peste-t-il quand ses proches invoquent le souvenir de la Shoah, parlent d’Israël comme l’Etat refuge de tous les juifs persécutés du monde, lui reprochent sa « naïveté » et son « utopisme ».
« La nouvelle catastrophe est pour demain »
Elie constate que les repas de famille sont de plus en plus chahutés. Aux éclats de voix succèdent les maladresses, puis les demandes d’excuses. Avant que le jeune homme ne se décide à arrêter d’aborder le sujet. « J’ai compris que, pour le reste de ma famille, le 7 octobre représentait une continuation de cet antisémitisme qui ne disparaît jamais, avec cette idée que la nouvelle catastrophe est pour demain », analyse-t-il.
Le cas d’Elie est loin d’être unique. Si beaucoup de familles juives françaises ont serré les rangs face à la violence de l’attaque du 7 octobre, dans d’autres, au contraire, l’événement a avivé des tensions déjà existantes entre les générations, voire en a fait apparaître de nouvelles. Pour la plupart des juifs de France, la guerre Israël-Hamas n’est pas un sujet désincarné : il renvoie à un passé douloureux, à des inquiétudes pour l’avenir. Il interroge aussi une façon d’être juif en France.
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