L’AVIS DU « MONDE » – POURQUOI PAS
C’est à plus de 60 ans qu’Ethan Coen s’émancipe du duo qu’il forme depuis quatre décennies avec son frère Joel. Sa première fiction réalisée seul, Drive-Away Dolls, ne s’aventure pourtant pas très loin de l’univers bâti à deux : le film ressasse les glorieuses années 1990 où le style Coen s’est consolidé, redessinant avec d’autres (Soderbergh, Tarantino) les contours du cinéma américain. Reprise donc, mais remise au goût du jour sous forme de repentance : le cinéma des frères Coen a toujours été un monde d’hommes, et les femmes, le grand « Autre » de leur cinéma, source inépuisable d’angoisse pour leurs héros. Drive-Away Dolls inverse opportunément la formule en s’efforçant de suivre un duo féminin – et on sent que ça lui coûte, à Ethan.
Soit Jamie (Margaret Qualley), lesbienne extravertie qui multiplie les coups d’un soir, et sa meilleure amie Marian (Geraldine Viswanathan) qui préfère lire Henry James dans son lit plutôt que d’y accumuler les conquêtes. Après une rupture houleuse, Jamie se retrouve à la rue et accepte de conduire une voiture de Pittsburgh (Pennsylvanie) à Tallahassee (Floride), embarquant Marian à son côté. Dans leur périple, les deux jeunes femmes ignorent que la voiture qu’elles conduisent contient une précieuse mallette dissimulée dans le coffre arrière – une bande de dangereux gangsters ne va pas tarder à se mettre à leurs trousses.
Paresseux medley
On retrouve là ni plus ni moins qu’un paresseux medley de l’œuvre des frères Coen : entre road movie fantasque (Arizona Junior, 1987), néonoir (Fargo, 1996), narration rebondissant sur une large palette de personnages archétypaux et parenthèses psychédéliques empruntées à The Big Lebowski (1998).
Le film aurait pu avoir le charme du vieux standard qu’on connaît par cœur, si Ethan Coen ne se sentait pas obligé de donner des gages à un éventuel public féminin et féministe qui le jugerait sévèrement : on y trouvera donc un bar lesbien rempli de camionneuses, une héroïne au fort accent texan obsédée par le sexe, une autre qui n’attend que d’être décoincée, et toutes deux sont évidemment en quête d’un pénis qui ne tardera pas à arriver – au mieux, c’est cartoonesque, au pire, absolument ringard. Entre la nymphomanie et la pruderie excessive, il y a, chez Ethan Coen, comme une impossibilité à produire une image juste des femmes. Il aurait sans doute mieux valu ne jamais s’aventurer sur ce continent noir.
Film américain d’Ethan Coen. Avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein (1 h 24).