Saluée par la critique et le public, la série Severance, créée par Dan Erickson et produite par Ben Stiller, revient sur Apple TV+ pour une saison 2 après trois années d’attente. Si l’on en parle ici, c’est qu’il s’agit d’un brillant Brazil (1985) de bureau, où le récit dystopique dans lequel sont plongés les employés de la société Lumon Industries renvoie, de manière grimaçante, à la bizarrerie managériale de nos quotidiens corporate. Avec ses couloirs interminables et son ambiance qui semble neurasthéniquement d’hier et d’aujourd’hui (le matériel est assez vintage), Lumon Industries figure un monde à la Escher où les portes de sortie débouchent sur des entrées (et inversement).
Dans cette boîte suffocante, dont les locaux au sous-sol semblent faits pour oublier l’existence du dehors, les employés ont accepté de subir une intervention chirurgicale de dissociation, appelée « severance ». Par l’implantation d’une puce électronique dans le cerveau s’opère un cloisonnement strict entre le moi de bureau (inter) et le moi privé (exter). Les nouveaux venus se réveillent sur une grande table dans une salle de réunion et, à la suite d’un questionnaire millimétré, finissent par intégrer leur équipe s’ils font la démonstration qu’ils ont totalement oublié leur histoire personnelle, et jusqu’à leur prénom.
A l’inverse, une fois sorti du bureau, l’exter n’aura aucun souvenir de ce qu’il a fait dans sa journée de travail. Le discours en creux tenu par la série est radical et perturbant : l’entreprise serait ce dispositif qui, pour reprendre un mot du philosophe Jean Vioulac, nous « schizophrénise », en nous coupant à la fois de notre histoire personnelle et de nos ressentis profonds. « J’ai pas envie d’être ici », maugrée une nouvelle venue. « Vous allez voir que si », lui répond sa responsable. En adoptant les attentes, les discours et les rites de sa boîte, on finirait alors par s’oublier.
Rééduqué, refaçonné, reprogrammé
Il vous reste 48.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.