Trois kilomètres à l’arrière de la première ligne ukrainienne, des fosses longues de plusieurs centaines de mètres viennent d’apparaître dans la terre fraîchement dégelée. « Cette fosse antichar de forme arrondie a été creusée dans les règles de l’art par un excavateur spécialisé MDK-3 », explique fièrement Andri, un militaire ukrainien svelte au regard mélancolique. Sur les épaules de cet officier du génie militaire, âgé de 34 ans, repose la responsabilité de construire des lignes de défense protégeant la vie de milliers de ses camarades, sur l’une des sections les plus attaquées du front.
Invoquant des raisons de sécurité, l’officier exige que ni son rang exact dans la hiérarchie militaire, ni le nom de la brigade, ni le secteur ne soient mentionnés. Les explosions incessantes d’obus et de roquettes dans les alentours témoignent des efforts déployés par l’artillerie russe pour, selon le jargon militaire, « ramollir » les défenses ukrainiennes.
L’officier ne réagit pas aux explosions, mais sa nervosité est palpable. Au moindre bruit suspect, il se fige, tend l’oreille, puis scrute le ciel dégagé. C’est le bourdonnement émis par les drones–kamikazes FPV qui l’angoisse. « Les drones ennemis volent sans arrêt dans cette zone, précise-t-il. Leurs cibles prioritaires sont les blindés et les engins du génie, mais ils se jettent aussi sur les groupes de soldats. » Or, nous formons justement un groupe de trois individus portant casque et gilet pare-balles. « Il faut se séparer immédiatement si un FPV approche, il [le pilote russe] renoncera peut-être à attaquer », espère Andri. Sauf si la batterie du kamikaze est épuisée, auquel cas le pilote l’enverra sur n’importe quelle cible à sa portée.
Emergeant de la fosse, l’officier court vers une autre creusée plus loin, pour rester le moins longtemps possible exposé. « Observez la différence avec ce fossé-là, creusé par un excavateur ordinaire. Les bords sont verticaux, et la terre meuble s’affaisse avec le temps. C’est moins efficace pour gêner les chars », souligne-t-il. A l’arrière du MDK-3, une lame rotative fore le sol et expulse la terre, formant un talus sur le côté droit du fossé. L’appareil met six heures à creuser 100 mètres de fosse d’un rayon de 3,5 mètres.


« Dents de dragon » et « hérissons tchèques »
La flotte du génie militaire ukrainien compte dix fois moins d’appareils de ce type que celle de l’envahisseur. « Ce sont de gros engins soviétiques vieillissants, qui tombent souvent en panne. Nous n’avons pas de pièces de rechange… Il nous faudrait des engins plus petits, donc moins repérables, faciles à dissimuler sous la cime des arbres. Il nous faut des marteaux piqueurs, des camions bras de grue, des engins sur roues, pour pouvoir se déplacer rapidement et échapper aux drones, des robots capables de transporter du matériel de construction vers la première ligne sans risquer des vies », explique l’officier d’une voix résignée.
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