
De leur vie d’avant, ils ont gardé trois buffets, quelques chaises en bois, une délicieuse façon de rendre un intérieur douillet, l’art de garder un carré de pelouse impeccable, un humour et un fort accent anglais. A Duault (360 habitants), petit village d’Armorique, une famille d’irréductibles Gallois résiste encore et toujours aux téléphones portables, aux tracteurs et autres outils agricoles à moteurs. Les Lewis vivent de trente-cinq mini-parcelles cultivées à la main et du Central Brittany Journal, un mensuel en anglais écrit à six mains vendu 1 euro aux anglophones du coin.
Trente-sept pages de conseils en jardinage, de points historiques, limericks (petits poèmes humoristiques), actualités locales, quiz, recettes, petites annonces et illustrations imprimées par un professionnel de Carhaix et bourrées d’encarts publicitaires d’artisans du canton. Suffisant pour occuper Gareth, 69 ans, le père, Bethan, 42 ans, la fille aînée, et Samuel, 37 ans, le benjamin. Wendy, 39 ans, la cadette, est partie se marier à Londres, et Lin, la mère, est décédée il y a cinq ans maintenant. « Elle voulait un jardin et venir en France », raconte Samuel dans un français impeccable. C’était il y a trente ans. La famille a pris son camping-car, monté un spectacle itinérant de marionnettes et entamé une tournée française. Madame Lewis est aux costumes, Monsieur Lewis et les enfants fabriquent les marionnettes et les décors.
Jusqu’à ce qu’ils arrivent ici, dans ce pays de bocage et achètent un terrain bordé d’une maison en ruine. Gareth, ancien enseignant dans une école alternative Steiner en Grande-Bretagne, construit seul un cottage cosy et commence à défricher. Son épouse s’occupe de la maison, de l’administration et de contacter les différents lieux où ils pourraient se produire. Les enfants, instruits à domicile, apprennent à reconnaître les chants d’oiseau et le français avec Gustave Flaubert et Alexandre Dumas. Puis à manier la houe et les gestes paysans auprès des anciens du village. Plus jeune, Samuel a bien pensé qu’il « intégrer[ait] le système ». Mais non. Il a préféré cultiver un look amish et les terres acquises par la famille au fil des ans.
« Tout est là »
Le matin, chacun travaille devant son ordinateur, s’informe, lit, peint, écrit. Les après-midi, Gareth et Samuel Lewis font « un truc au jardin ou réparent une toiture ». Presque toujours ensemble, « parce que, seul, tu manques de discipline », observe le fils. Ils se mettent d’accord la veille sur le programme du lendemain. Gareth dit qu’il est le leader et ajoute avec un sourire en coin « mais c’est Samuel qui décide ». En binant un champ, en coupant le maïs, ils discutent politique, nouvelles. Nettoient les talus sans toucher aux digitales, « le travail à la faux permet ça ». Il y a parfois quelques frictions, mais Samuel a remarqué que « c’est toujours une question d’espace ». Ce dernier a retapé une petite maison sur le terrain où il a sa chambre. « On vit et on travaille ensemble depuis des années, raconte-t-il en arrachant un brin de blé noir sauvage. On n’a pas trouvé de bonne raison de partir. »
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