La scène se passe dans la cour en terre battue d’une ferme, au Darfour du Nord, à l’ouest du Soudan. Deux corps gisent à terre, l’un d’eux la tête dans une flaque de sang. Autour, une dizaine d’hommes brandissent fièrement des épées, des fouets et des fusils d’assaut de type Kalachnikov. Ils scandent « Allahou Akbar ».
Une seconde vidéo, tournée à un kilomètre de là, montre six corps sans vie étendus devant une rangée d’hommes enturbannés. Quatre victimes ont les mains ligotées dans le dos ; du sang s’écoule au niveau de la tête de l’une d’elles : c’est une exécution. Qui en est à l’origine et pour quelles raisons ?
Ces images, obtenues et authentifiées par Le Monde avec Lighthouse Reports, The Washington Post et Sky News, éclairent la dimension ethnique de ces exécutions sommaires. Elles permettent aussi d’en identifier les responsables : des milices arabes affiliées aux Forces de soutien rapide (FSR) soudanaises.
Au cœur de la guerre civile soudanaise : des exactions sur des fondements ethniques
Depuis le mois d’avril 2023, les FSR, dirigées par le général dissident Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », sont en guerre avec les Forces armées du Soudan (FAS), armée régulière sous le contrôle du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. En un peu plus d’un an, ce conflit a fait près de 8 millions de déplacés et plusieurs dizaines de milliers de morts, selon l’ONU.
Dans la région du Darfour, le conflit est marqué par des violences ethniques qui ont déjà fait des centaines de milliers de morts depuis 2003. Les FSR bénéficient du soutien des tribus arabes, parmi lesquelles ils lèvent des milices pour combattre l’armée régulière et ses alliés. Parmi ces derniers, on trouve au contraire des groupes rebelles qui recrutent au sein des minorités non arabes de la région.
Selon plusieurs rapports d’ONG, le conflit connaît une multiplication des exactions commises par les milices arabes affiliées aux FSR contre des civils de communautés non arabes, notamment les Masalit et les Zaghawa. Des exactions que les FSR ont niées à plusieurs reprises, renvoyant la faute à des « conflits purement tribaux » et aux forces régulières soudanaises. Les vidéos vérifiées par Le Monde démentent pourtant ces affirmations.
La ville de Kutum attaquée
Début juin 2023, le conflit rattrape la petite ville de Kutum, au Darfour du Nord. Selon une dizaine de témoignages locaux que nous avons recueillis, le 3 juin au matin, des milices des FSR prennent d’abord d’assaut la ville. Une partie des assaillants se dirigent ensuite vers le camp de réfugiés de Kassab, établi à la suite du génocide de 2003 3 kilomètres au nord de Kutum et habité notamment par des membres de la communauté Zaghawa. C’est là que se déroulent les exactions.
Il vous reste 62.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.