Une immense toile blanche jetée comme une tente ouverte à tous les vents. Au sol, du sable jaune et doux encercle un plancher léger. Cet espace insolite est celui du studio de répétition de l’Ecole des sables, installé dans le village de pêcheurs de Toubab Dialaw, à 50 kilomètres au sud de Dakar. Les nomades qui s’y réfugient sont des danseurs venus de toute l’Afrique, mais aussi du monde entier.
Lundi 20 mai, alors que la Pentecôte bat son plein avec l’incroyable pèlerinage de Popenguine, qui attire des milliers de catholiques venus à pied de différentes régions, ils sont une vingtaine de danseurs à travailler dur. Soufflant, suant, ils soulèvent des vagues d’intensité qui projettent loin sur la brousse environnante leur soif de mouvements, de sensations. A quelques pas, un dinosaure en métal sculpté par Soly Cissé les contemple, planté sur un paysage lunaire de gros rochers noirs.
Ce plateau unique a été créé en 1998 par l’artiste sénégalaise Germaine Acogny, figure de premier plan du spectacle vivant. Le lieu porte le nom de sa grand-mère paternelle et prêtresse Yoruba, « Aloopho ». « Elle était aussi danseuse vaudoue et avait un certain pouvoir spirituel qu’elle m’a transmis, car le pouvoir se passe de femme à femme, explique Germaine Acogny. Donner son nom au premier studio du centre était une façon de marquer ma reconnaissance et de dire qu’elle est toujours présente parmi nous, et protège ceux qui viennent ici. »
Ruche de folie
L’Ecole des sables est « la forêt sacrée des temps modernes », selon sa fondatrice. Cette ruche de folie, plaque tournante des interprètes africains, est aujourd’hui connue du monde entier grâce à la recréation, démarrée en 2020, du Sacre du printemps, œuvre monstre chorégraphiée en 1975 par Pina Bausch (1940-2009), qui fut confiée à trente-huit danseurs de quatorze pays d’Afrique.
Dans la foulée de cet événement, elle abrite un nouveau projet, très ambitieux, intitulé Drumming XXL. Il revisite la pièce historique créée en 1998 pour douze interprètes sur une partition de percussions signée Steve Reich par la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker. Ils seront plus de soixante étudiants, issus de l’Ecole des sables, du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et de P.A.R.T.S., le centre de formation piloté par Anne Teresa De Keersmaeker, à Bruxelles, à se croiser sur scène dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, qui se tiennent jusqu’au 15 juin.
Cette production qui voit grand naît dans l’esprit en ébullition de Cédric Andrieux, directeur des études chorégraphiques au CNSMDP jusqu’en août 2023, aujourd’hui directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon. « Je désirais faire collaborer des élèves de P.A.R.T.S. et du CNSMDP autour d’une œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker, précise-t-il. L’idée de Drumming XXL est née, et Anne Teresa y a répondu favorablement en insistant sur le fait que la partition de Reich était inspirée du rythme d’une musique d’une tribu d’Afrique de l’Ouest, la tribu Ewé, et qu’il fallait le prendre en compte. » Immédiatement, la participation de l’Ecole des sables, codirigée depuis 2020 par Alesandra Seutin et Wesley Ruzibiza, s’impose. Et De Keersmaeker dit oui.
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