
Plus de 24 heures après une coupure électrique généralisée sur l’archipel, la situation se rétablit progressivement à la Guadeloupe depuis samedi 26 octobre. Les équipes d’EDF ont « réalimenté en électricité 178 200 clients », soit « 77 % » des personnes touchées, a annoncé l’énergéticien dans un nouveau point réalisé à 17 heures (22 heures à Paris).
« La réalimentation électrique des foyers se fait de manière très progressive pour assurer la stabilité du réseau électrique », a ajouté EDF, appelant les usagers à faire preuve de « sobriété énergétique » pour ne pas surcharger le réseau « durant cette période sensible de réalimentation ». Dans un communiqué, la préfecture de Guadeloupe a indiqué qu’une « perspective de retour à la normale [était] prévue durant le week-end ». EDF, via sa filiale EDF-PEI, a déposé une plainte contre X vendredi, pour « mise en danger d’autrui », au commissariat de Pointe-à-Pitre, a fait savoir l’entreprise.
La préfecture avait décidé de maintenir l’archipel sous couvre-feu jusqu’à 6 heures du matin samedi « afin de garantir la sécurité et la tranquillité ». Cela n’a pas empêché les pillages et les dégradations : dans la nuit, plusieurs faits de violences urbaines, avec des barricades et des poubelles brûlées, ont été constatés dans différentes communes de l’archipel, a appris l’Agence France-Presse (AFP) auprès de la gendarmerie. A Pointe-à-Pitre, onze boutiques ont été vandalisées dont un supermarché, une banque et trois bijouteries « attaquées au tractopelle », selon la vice-procureure de la République Alexandra Onfray. Sur place, la police a essuyé des tirs à balles réelles. Deux personnes ont été arrêtées, selon la même source.
Le couvre-feu a été reconduit pour la nuit de samedi à dimanche, de 22 heures à 5 heures, « dans certains secteurs », a annoncé la préfecture dans la soirée. Ce couvre-feu, qui concerne des secteurs d’une dizaine de communes, vise à « prévenir le risque de troubles à l’ordre public » après les « violences urbaines inacceptables » qui ont eu lieu la veille, a indiqué le préfet dans un communiqué.
« Black-out général » sur fond de conflit social
Quelques heures plus tôt, le préfet Xavier Lefort avait accusé « des salariés grévistes » de s’être introduits à 8 h 30 (14 h 30, heure de Paris) dans la salle des commandes de la centrale électrique de Pointe-Jarry, et d’avoir « provoqué l’arrêt d’urgence de l’ensemble des moteurs ». Cette dernière fournit la quasi-totalité de l’électricité sur le territoire très touristique de près de 380 000 habitants. Selon EDF, 230 000 foyers ont été touchés par cette coupure.
Un conflit social oppose depuis plusieurs semaines la branche énergie de la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et la direction d’EDF Production électrique insulaire (PEI) dans le territoire. Les forces de l’ordre ont dû intervenir, à 9 heures (15 heures à Paris), « afin de sécuriser la centrale EDF après les actions commises par certains de ses salariés », selon la préfecture.
Des grévistes de la centrale ont expliqué à une correspondante de l’AFP avoir procédé à la coupure des moteurs « après la convocation par la direction d’un de [leurs] chefs, peut-être en vue d’un licenciement ».
Dans un communiqué publié samedi soir, la fédération de l’énergie de la CGTG a affirmé que « ses appels à la grève sont toujours dans l’observation du plan croix rouge (fourniture nécessaire à l’alimentation de toutes les lignes prioritaires) en lien avec la préfecture ».
Le mouvement social, qui dure depuis le 15 septembre, porte sur la mise en œuvre d’un accord signé début 2023, après deux mois de grève des mêmes agents, qui réclamaient une mise en conformité de leurs contrats et de leur rémunération avec le droit du travail, notamment le paiement de cinq ans d’arriérés de salaires non versés. Il avait depuis déjà provoqué des coupures d’électricité affectant jusqu’à environ 100 000 foyers.
Lundi dernier, la direction d’EDF PEI avait proposé la signature d’un accord que la fédération de l’énergie de la CGTG a refusé, un dernier point d’achoppement portant sur le mode de calcul des congés payés.
Vent d’inquiétude
Sur l’archipel, l’annonce de cette coupure généralisée avait provoqué une certaine inquiétude, concernant notamment la distribution de l’eau et le fonctionnement de l’hôpital. Dès la constatation de la coupure, « les équipes de maintenance ont activé les groupes électrogènes sur l’ensemble des sites concernés », avait fait savoir le centre hospitalier de la Guadeloupe (CHUG) dans un communiqué. « Les unités critiques de l’hôpital disposent d’une autonomie de soixante-douze heures », avait poursuivi le CHUG. Grâce à ses groupes électrogènes, l’hôpital a ainsi pu continuer son activité mais a dit avoir accueilli « en urgence trois familles » pour intoxication au monoxyde de carbone, dont un nourrisson de dix mois « pris en charge en réanimation ».
La situation en matière de réseaux de téléphonie mobile, critique vendredi, « s’améliore progressivement », a annoncé samedi matin Orange Caraïbe, le principal opérateur mobile de Guadeloupe.
Dans un supermarché du Gosier, près de Pointe-à-Pitre, des habitants poussaient des chariots avec plusieurs packs d’eau et certaines marques manquaient dans les rayons, mais rien de comparable aux instants qui précèdent l’arrivée d’un ouragan, avait constaté une correspondante de l’AFP. A Jarry, poumon économique de l’archipel, certaines enseignes commençaient de leur côté à fermer leurs portes, a constaté une autre correspondante.
Les critiques et les réactions outragées à ce « black-out » se sont multipliées. L’Union des entreprises de Guadeloupe, représentant du Medef sur le territoire, a dénoncé un « acte criminel », ajoutant que « les plus petites entreprises paieront le plus lourd tribut avec des pertes de stocks et de matériels ». Le président de la région Ary Chalus a dénoncé « l’irresponsabilité des actes qui ont gravement mis en péril la santé des Guadeloupéens et l’économie du pays » tout en déplorant « les séquences qui ont conduit à cet épisode désastreux ».
La Guadeloupe est une zone non interconnectée, ce qui signifie qu’elle doit produire elle-même son électricité pour satisfaire la demande sur le territoire. Sa production électrique dépend à près de 70 % de l’énergie thermique : du fioul pour EDF et des granulés de bois pour la société Albioma, qui fonctionnait encore au charbon jusqu’en juillet.