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La situation politique inédite que connaît la France depuis les résultats des élections législatives anticipées, le 7 juillet, soulève de nombreuses interrogations. Parfois ambiguë, la Constitution ne permet pas de répondre clairement à tous les cas de figure qui se présentent aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, dans nos directs et nos articles, nous tentons de répondre aux questions qui se posent en l’absence de majorité claire à l’Assemblée nationale.
Existe-t-il un délai pour proposer un nouveau gouvernement ?
Seul le chef de l’Etat a la compétence de nommer un premier ministre (article 8 de la Constitution). Il n’a aucune obligation légale de choisir une personnalité issue du groupe le plus important à l’Assemblée nationale et aucun délai ne lui est imposé par les textes.
Il est difficile de parler d’usage républicain en la matière. Lors des trois périodes de cohabitation (en 1986-1988 et 1993-1995 sous François Mitterrand, puis en 1997-2002 sous Jacques Chirac), « une majorité absolue à l’Assemblée nationale était toujours sortie des urnes, rappelle Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la Constitution. Le président de la République n’avait donc eu qu’à entériner la nouvelle configuration – sans aucun espace pour nommer un autre premier ministre que celui que la droite ou la gauche avaient alors choisi ». En 2022, le camp présidentiel avait certes une majorité relative, avec 250 députés, mais ce groupe était « et de très loin, le seul à être majoritaire au sein de l’Hémicycle » et il n’y avait aucune alternative.
Emmanuel Macron a accepté la démission du gouvernement Attal mardi 16 juillet, mais nul ne sait quand le président nommera un nouveau premier ministre. Il a déjà prévenu vouloir « laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir [des] compromis avec sérénité et respect de chacun ». Le gouvernement démissionnaire pourrait gérer les affaires courantes le temps des Jeux olympiques et paralympiques, et pourquoi pas jusqu’à l’ouverture de la prochaine session ordinaire, prévue le mardi 1er octobre.
Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, « cela pose un vrai problème démocratique » puisqu’un gouvernement chargé des affaires courantes ne peut pas être renversé par l’Assemblée nationale, sa démission étant déjà actée. Reste à savoir si le président de la République prendra le risque de faire durer une telle situation, alors que la pression politique sera forte et que les Français, qui se sont massivement exprimés lors des élections législatives, pourraient s’impatienter.
Emmanuel Macron peut-il nommer un premier ministre qui ne soit pas issu du plus grand groupe à l’Assemblée ?
La logique institutionnelle veut que le président de la République nomme un premier ministre issu du parti qui a gagné les élections. Pour autant, aucun groupe politique ne peut aujourd’hui se prévaloir d’une majorité absolue. Les partis de gauche alliés au sein du Nouveau Front populaire (NFP) revendiquent le poste de premier ministre, arguant qu’ils ont obtenu le plus grand nombre de députés (182), devant le camp présidentiel sous l’étiquette Ensemble (168) et le Rassemblement national et ses alliés (143). Les responsables du NFP se réunissent depuis le 7 juillet dans la perspective de proposer un nom, mais ces tractations n’ont pour le moment pas abouti. Libre ensuite à Emmanuel Macron de nommer ou non cette personne à Matignon…
La compétence de nommer le premier ministre revient en effet au seul chef de l’Etat, qui n’a aucune obligation légale de choisir une personnalité issue du groupe le plus conséquent à l’Assemblée nationale.
Mais « si la gauche se met d’accord sur un nom à proposer à Emmanuel Macron, il pourra difficilement faire la sourde oreille, relève Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la Constitution. Toute la question est de savoir s’il existe une solution alternative. »
Quand un gouvernement démissionne, comment gère-t-il les affaires courantes ?
Quand un gouvernement démissionne, le président de la République peut demander à ses ministres de rester temporairement en fonction pour assurer la continuité de l’Etat, de ses services, et donc du fonctionnement essentiel et quotidien des administrations placées sous leur responsabilité. Aucun texte juridique ne cadre spécifiquement ce qu’un gouvernement démissionnaire peut ou ne peut pas faire.
Le Monde
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Un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes a un pouvoir bien plus limité qu’un gouvernement de plein exercice. Il ne peut, en principe, prendre de mesures de nature politique. De fait, un tel gouvernement ne peut pas, par exemple, créer de nouveaux droits et devoirs pour la population ou prendre des mesures qui ne seraient pas déjà prévues par les lois existantes et promulguées. Mais du fait du peu d’exemples dans l’histoire de la République française, il n’est pas toujours facile d’anticiper les mesures que peut prendre légalement un tel gouvernement. « La frontière est difficile à établir parce que cela relève de l’appréciation du Conseil d’Etat », nuance le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Le Conseil d’Etat a le pouvoir de contester un décret s’il juge que la mesure dépasse simplement l’objectif de maintenir la continuité des services publics.
Etre chargé des affaires courantes n’empêche pas systématiquement un gouvernement de prendre des décrets, des circulaires et des arrêtés pour mettre en application des lois déjà votées. Ses pouvoirs ne sont pas limités quand les mesures prises revêtent un caractère urgent. « S’il y avait un attentat, il n’y a aucun obstacle juridique, un gouvernement chargé des affaires courantes pourrait prendre les décisions qui s’imposent », illustre Julien Boudon.
Les députés peuvent-ils déposer une motion de censure à tout moment pour faire tomber le gouvernement ?
Pour pouvoir être déposée, une motion de censure, qui vise à faire tomber un gouvernement, doit être signée par un dixième de l’effectif total de l’Assemblée, soit 58 députés. Actuellement, La France insoumise (74 députés), le Parti socialiste (59), Renaissance (102) et le Rassemblement national (125) ont chacun suffisamment d’élus pour déposer une telle motion.
Pour être adoptée, elle requiert cependant la majorité absolue des sièges, soit 289 voix, ce dont aucun groupe politique ne dispose actuellement. Seuls les votes « pour » la censure du gouvernement sont comptabilisés. En cas d’adoption, l’article 50 de la Constitution est clair : le premier ministre doit remettre la démission du gouvernement au président de la République.
Il existe deux types de motion de censure : la version spontanée et la version provoquée. Dans les deux cas, elles ne peuvent être déposées que lors d’une session parlementaire.
1- La motion de censure spontanée
Cette motion est déposée à l’initiative des députés et d’eux seuls. Contrairement à la motion de censure provoquée, elle n’est pas rattachée à un texte. Elle ne peut être discutée dans l’hémicycle qu’entre quarante-huit heures et cinq jours après son dépôt. Ainsi, Elisabeth Borne avait fait face à une motion de censure, qui avait échoué, après son discours de politique générale lors de sa prise de fonction à l’été 2022.
2- La motion provoquée
Elle est déposée – en principe par un groupe d’opposition – après que le gouvernement a engagé sa responsabilité sur un texte de loi. Ce dispositif est prévu par le fameux article 49.3 de la Constitution.
Quand le gouvernement engage sa responsabilité, le texte est réputé adopté sans débat, sauf si une motion de censure est déposée dans les vingt-quatre heures. En cas d’adoption, cette motion de censure entraîne le rejet du texte ainsi que la démission du gouvernement.
En cas d’échec de cette motion, non seulement l’exécutif reste en place, mais le texte législatif qui fait l’objet de la procédure est adopté sans vote. Raison pour laquelle l’emploi de cet article de la Constitution a été qualifié de « passage en force » peu démocratique.
De toute l’histoire de la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée, à l’initiative des députés. C’était en 1962, quand la majorité d’entre eux a protesté contre la révision constitutionnelle prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En réaction, le président Charles de Gaulle dissout l’Assemblée. Les législatives qui suivent se soldent par la large victoire du camp gaulliste. Et le premier ministre Pompidou, un temps menacé par la motion de censure, reste en poste.
Quels sont les pouvoirs du président de la République en cas de cohabitation ?
Selon la Constitution, la politique intérieure du pays est clairement confiée aux membres du gouvernement. En cas de cohabitation, le président de la République dispose d’un rôle plus secondaire. Ses pouvoirs propres sont encadrés, et c’est notamment lui qui nomme le premier ministre de son choix (qui doit cependant avoir la confiance de l’Assemblée), préside le conseil des ministres (mais perd son influence auprès d’eux), dispose du pouvoir de nommer les fonctionnaires civils et militaires de l’Etat ou peut dissoudre l’Assemblée nationale (à raison d’une fois par an). Il peut aussi s’arroger des pouvoirs exceptionnels en cas de menace « grave et immédiate » sur les institutions, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux.
En matière de politique étrangère, la Constitution prévoit que le président négocie et ratifie les traités internationaux et accrédite les ambassadeurs. Une ambiguïté persiste sur la question de la défense puisque la Constitution fait du président le « chef des armées », celui qui « préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale », tout en qualifiant le premier ministre de « responsable de la défense nationale » et en prévoyant que le gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ». Cette ambiguïté oblige le premier ministre et le président à une certaine entente, notamment sur le nom du locataire du Quai d’Orsay.
Si la cohabitation fait du président de la République un chef de l’opposition, celui-ci a l’avantage non négligeable d’être à l’Elysée, de bénéficier d’une parole forte auprès des Français et il garde un pouvoir tribunitien important. C’est aussi le seul à pouvoir signer les décrets et les ordonnances en conseil des ministres, et bénéficie de ce fait d’un pouvoir de nuisance face à un gouvernement d’opposition.
Décrets, ordonnances… un gouvernement peut-il contourner l’Assemblée ?
Sans majorité, un gouvernement pourrait être tenté de gouverner par décret. Jean-Luc Mélenchon a prévenu dès le 7 juillet qu’un gouvernement du Nouveau Front populaire pourrait utiliser cette méthode pour mettre en place des mesures phares du programme de la gauche : abroger le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite et augmenter le smic à 1 600 euros. Cela ne poserait a priori pas de problème pour la modification du montant du salaire minimum, mais l’idée d’annuler la retraite à 64 ans par décret interroge plusieurs experts.
Décidé en en conseil des ministres, le décret est un acte réglementaire (qui fixe une règle) signé par le président de la République et qui n’a pas besoin de l’approbation du Parlement. Le premier ministre peut également se passer de la signature du président en prenant un décret simple, en dehors du conseil des ministres. Pour modifier ou abroger une loi, il faut cependant une mesure législative, qui passe donc par le Parlement.
L’une des possibilités offertes à un gouvernement peut être de gouverner par ordonnance. Ce texte normatif (qui énonce une règle) lui permet d’adopter des mesures sans passer par la procédure législative habituelle (Assemblée nationale et Sénat). Mais il doit avoir l’autorisation préalable des deux chambres du Parlement, ce qui peut s’avérer très complexe sans majorité. Surtout, dans le cas d’une cohabitation, gouverner par ordonnance peut s’avérer d’autant plus compliqué que le président de la République est le seul habilité à la signer. C’est ainsi qu’en juillet 1986, François Mitterrand refusa de signer les ordonnances sur les dénationalisations présentées par le gouvernement de Jacques Chirac, qui avait pourtant obtenu du Parlement l’autorisation de légiférer par ordonnances. Face à ce refus du président, Jacques Chirac avait dû transformer le projet d’ordonnances en projet de loi.
Un gouvernement sans majorité pourrait également décider de « passer en force » en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet d’adopter directement un texte de loi. Il s’exposerait cependant aux motions de censure et risquerait de se voir renversé en cas d’adoption de celles-ci.