LETTRE DE BERLIN
C’est une vidéo de quatorze secondes, filmée au smartphone, sur la terrasse d’un bar branché de Sylt, petite île de la mer du Nord où la jet-set allemande a ses habitudes. On y voit des jeunes gens bien mis, chemisettes blanches, pulls noués sur les épaules, lunettes de soleil, verres de spritz à la main, en train de se trémousser au soleil couchant sur fond de L’Amour toujours, du DJ italien Gigi D’Agostino. L’un d’eux, hilare, tend son bras droit vers le haut et mime la moustache d’Hitler avec deux doigts de sa main gauche. Autour, on entend crier « Deutschland den Deutschen, Ausländer raus ! » (« l’Allemagne aux Allemands, étrangers dehors ! »).
Diffusées sur les réseaux sociaux, jeudi 23 mai, ces quelques images tournées pendant le week-end de Pentecôte au Pony, un bar couru de Sylt où l’entrée coûtait ce soir-là 150 euros, ont mis l’Allemagne dans tous ses états. Dans les heures qui ont suivi, une véritable chasse à l’homme a été lancée sur X et sur d’autres plates-formes, appelant à identifier les participants. Le lendemain, une influenceuse de Hambourg a fait savoir sur Instagram qu’elle avait reconnu l’une de ses assistantes et l’avait renvoyée sur-le-champ. Une agence de publicité a fait de même avec un de ses employés présent sur la vidéo.
Les politiques n’ont pas tardé à réagir, jusqu’aux principaux dirigeants de l’Etat. « De tels slogans sont répugnants, ils ne sont pas acceptables », a déclaré vendredi le chancelier Olaf Scholz. « Cette vidéo est inquiétante car elle montre que ce ne sont pas seulement les laissés-pour-compte qui se radicalisent mais que la radicalisation vient aussi du cœur de la société », a affirmé le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, samedi, en marge d’un déplacement à Bonn. C’est en effet ce qui fait la singularité de ces images et explique pourquoi elles sont devenues virales. Ici, ce ne sont pas les visages types de l’extrême droite allemande – un néonazi au crâne rasé, un citoyen en colère d’un Land de l’ex-RDA – que l’on voit, mais ceux de la jeunesse dorée.
« N’avons-nous rien appris ? »
Dès la diffusion de la vidéo, les propriétaires du Pony ont assuré sur Instagram qu’ils étaient profondément « choqués », condamnaient « toute forme de racisme et de discrimination » et demandaient à quiconque reconnaîtrait certains des participants de se manifester auprès de la police. Après comparaison avec des images prises par une caméra de vidéosurveillance de l’établissement, l’un des patrons a déclaré au quotidien Tageszeitung que seules cinq personnes, selon lui, ont chanté les slogans xénophobes qui ont fait scandale, les autres se contentant de reprendre les vraies paroles de la chanson. « On l’entend très clairement et cela a été un soulagement pour nous », a-t-il assuré.
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