Un bruit sourd résonne à travers la jungle. Des coups répétés, précis, ininterrompus, rompent la quiétude de ce coin d’Amazonie, situé sur les rives du rio Iratapuru, dans l’Etat brésilien de l’Amapa. Mais il ne s’agit ni du tintamarre des oiseaux, ni du fracas d’une branche dégringolant au sol. L’auteur de cet étrange écho est un type d’habitant très ancien et tout particulier de la grande forêt : le castanheiro. En français, le « collecteur de noix »
A 26 ans, Mailson Farias dos Santos a passé la moitié de sa vie à fouiller ce labyrinthe végétal en quête de graines précieuses. Panier sur le dos et grosses bottes au pied, le voilà qui s’enfonce le long des sentiers de la forêt tropicale. Peu à peu, le sol se recouvre d’un tapis de petites fleurs blanches et de coques aux tons bruns. Soudain, un tronc démesuré, haut de plusieurs dizaines de mètres, émerge entre les buissons. « Ça y est, voilà les noyers ! », s’exclame Mailson.
Sans attendre, le castanheiro se saisit d’un instrument de sa conception, le cambito : un bout de bois, dont une extrémité est fendue en quartiers pour saisir les coques (appelées « ouriços » : les oursins, en français) et les déposer dans le panier. Assis par terre, armé d’une binette affûtée, le collecteur s’emploie ensuite à les briser une par une pour en extraire les noix. Mailson dit être capable d’en ouvrir « 800 par jour ». Le tout, sans se couper une seule phalange.
L’activité peut sembler artisanale, sinon rustique. Elle mobilise pourtant la quasi-totalité des familles de l’Iratapuru, cet affluent du grand rio Jari, qui coule non loin de la Guyane française. Ces dernières sont allées jusqu’à fonder une société, la Cooperativa mista dos produtores e extrativistas do rio Iratapuru, la Comaru, devenue au fil des années une institution de référence dans la préservation de la nature et des cultures traditionnelles.


Chaque année, vers le mois de mars, Mailson et les siens prennent la direction du castanhal, leur parcelle de noyers dans la jungle. « Le nôtre n’est pas très loin, à seulement un ou deux jours de pirogue. Certains castanhal sont situés à une, voire deux semaines de bateau ! », raconte le jeune homme. Pour y accéder, il faut parfois tirer l’embarcation à l’aide de cordes dans les cascades, « voire décharger toute la cargaison, et la porter à travers la forêt ».
Arrivées sur place, les familles coupées du monde établissent leur campement et cassent de l’« oursin » du lever au coucher durant des semaines. « On doit tout apporter : les tentes, l’équipement, l’essence… », liste Mailson. Pour se nourrir, les collecteurs de noix chassent le crocodile, les oiseaux, la biche et les gros rongeurs, et parcourent la forêt avec plus de 100 kilos sur le dos. Il n’est pas rare de croiser le chemin d’un jaguar… « C’est dur, mais ça vaut la peine ! », assure le castanheiro.
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