Six mois après, le souvenir de la soirée du 28 novembre 2023 hante encore Jamal Mleihat. Alors qu’un vent glacial balayait la vallée du Jourdain, une dizaine de colons juifs ont fait irruption dans son village de Mouarrajat -Est, ont volé ses moutons, puis pénétré dans sa maison où se reposait sa famille, avec son petit dernier, âgé de quelque 40 jours. Ils ont menacé ses proches et frappé sa femme. « Puis ils sont allés dans d’autres maisons, à la recherche d’autres moutons. Ils nous en ont pris une quarantaine. C’était une nuit d’horreur. On avait peur des colons avant le 7 octobre [2023]. Maintenant, c’est encore pire. Ils sont armés. Et la police laisse faire », dénonce le père de famille, âgé de 42 ans.

La descente des colons est-elle le signe annonciateur d’un nouvel exil pour cette communauté de bergers, issue de la tribu Kaabneh ? Ces Bédouins ont été expulsés une première fois de leurs terres, au sud de Hébron, lors de la Nakba, l’exode forcé de 700 000 Palestiniens au moment de la création d’Israël, en 1948. Ils se sont réinstallés dans la vallée du Jourdain et sur ses hauteurs, alors placées sous le contrôle du royaume de Jordanie. Les Mleihat, une branche des Kaabneh, se sont établis à flanc de montagne, sur un site baptisé Mouarrajat (« zigzags », en arabe), qui est divisé en deux parties – Mouarrajat-Centre et Mouarrajat -Est – et traversé par la route 449, reliant l’est de Ramallah à la plaine du Jourdain.
Leur existence est précaire. Mouarrajat-Est abrite 70 à 80 familles, soit 600 à 700 personnes. Le hameau, constitué de bicoques en tôle, est situé dans les soixante pour cent de la Cisjordanie qui sont classés zone C. Ce label désigne les terres restées sous contrôle israélien après les accords d’Oslo, contrairement aux zones A et B, où l’Autorité palestinienne dispose de quelques pouvoirs. Conséquence de ce zonage, les Mleihat ont l’interdiction de construire des habitations pérennes, sous peine de recevoir un ordre de démolition.

Mouarrajat-Est est pris en étau par des colonies. En contrebas de la montagne, il y a Mevoot Yericho – la porte de Jéricho, en hébreu, un ancien avant-poste, construit en 1999, longtemps illégal au regard du droit israélien, jusqu’à sa reconnaissance en 2019 par le gouvernement. En surplomb, caché derrière un lacet de la route 449, il y a une colonie encore sauvage avec pour chef un certain Zohar Sabah, un jeune colon aux cheveux longs.
Colons intégrés à la défense locale
Au début, celui-ci s’est montré respectueux, semblant copier le mode de vie des Bédouins, tout comme Gabriel Nakache, le chef de la sécurité de Mevoot Yericho. « Quand je pense que Gabriel venait prendre le thé ici, avec sa fille dans les bras, il y a quelques années », fulmine Souleiman Mleihat, 38 ans, un membre de la communauté, qui s’est fait voler une vingtaine d’ovins, fin mai.
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