La première fois que j’ai compris que j’avais perdu pied à l’école, c’était juste après les partiels de janvier, seulement quatre mois après la rentrée : je venais de tous les rater. Il faut dire que j’avais plus que joué le jeu sur le campus : week-end d’intégration, fêtes à répétition, campagnes harassantes pour espérer être élue au bureau des élèves [BDE]…
Venue d’une prépa de province, je ne m’attendais pas à réussir le concours de l’une des plus grandes écoles d’ingénieurs parisiennes. Je ne visais pas aussi haut, même si j’ai toujours été parmi les premiers de la classe. Contrairement aux étudiants parisiens qui rentrent chez eux tous les week-ends, moi, je restais sur le campus, donc j’avais envie de me faire des amis et de rentrer dans le moule de l’étudiant en école d’ingénieurs. J’ai assez vite remarqué que ceux qui venaient des prépas parisiennes étaient très à l’aise, ils se connaissaient et surtout partageaient implicitement les mêmes codes sociaux. Nous, nous devions faire nos preuves.
Les grandes écoles fonctionnent toutes sur ce modèle d’intégration par les anciens. La première semaine est entièrement consacrée à ça et elle se termine en apothéose avec le week-end de rentrée, qui est devenu beaucoup plus contrôlé, notamment parce que l’école est vigilante en matière de prévention pour éviter les situations d’agressions sexuelles et de beuveries incontrôlées. Il n’empêche qu’on y a fait deux jours d’excès, qui donnaient déjà le ton de la suite des événements annuels.
Comme chaque année, ce sont les étudiants de deuxième année qui organisent les festivités. Dès le début, un climat de hiérarchie se met en place, car pour être populaire, il faut leur plaire et obtenir des points. Plus on est casse-cou et rebelle, plus on perd des points, et plus on est valorisé, dans un système inversé de notation. Les étudiants les plus « cool » sont donc ceux qui vont plus loin que les autres et qui sortent du rang.
« Une culture très viriliste propre aux écoles d’ingénieurs »
Juste après la rentrée s’ouvre la période des « bars ». Les bars, ce sont des groupes de dix étudiants qui organisent des soirées dans les chambres, sur le campus. Là encore, il y a une compétition entre les groupes, car le but, c’est d’organiser la soirée où il y a aura le plus de monde, la meilleure musique, le plus de drogues, etc. C’est un rite de passage. L’objectif est de plaire à l’association qui gère la vie festive, composée des deuxième année, qui évaluent les meilleures soirées. Comme les autres, j’ai organisé un bar dans ma chambre. C’est une première étape vers les campagnes pour le BDE. C’est aussi une école de la débrouille : on apprend à gérer un événement de A à Z. On doit prévoir un budget pour acheter de l’alcool, la déco – car les soirées ont des thèmes –, organiser le nettoyage le lendemain, etc.
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