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En Russie, la délation fait un retour en force

by Marko Florentino
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LETTRE DE MOSCOU

Lors du festival d’été du livre, à Vladimir (Russie), en août 2024.

A Vladimir, charmante mais discrète ville située à environ 200 kilomètres à l’est de Moscou, le festival d’été du livre a confirmé une tendance de fond dans les milieux culturels depuis le début de « l’opération militaire spéciale » du Kremlin en Ukraine : le retour de la délation en Russie. « Une nouvelle réalité à laquelle, hélas, il fallait s’attendre… », explique un écrivain russe de renom qui, face à la répression accrue contre toute voix critique restée dans le pays, demande à rester anonyme.

Opposé à « cette guerre qui n’est pas la nôtre », il a préféré, depuis deux ans et demi, ne plus participer à des rencontres avec les lecteurs. Par précaution. Il ne veut pas prendre le risque de se retrouver la cible des « patriotes » partis dénoncer « l’ennemi » à l’intérieur du pays.

C’est ce qu’il s’est passé à Vladimir. Les organisateurs du festival, qui s’est déroulé du 16 au 18 août dans cette petite cité, ont été contraints d’annuler les rencontres avec Irina Kotova et Assia Demichkevitch. Ces écrivaines s’étaient prononcées contre l’intervention militaire en Ukraine. Collègues pro-Kremlin en tête, des blogueurs, relayés par l’Union des écrivains de Russie, se sont « indignés » de voir ces deux rebelles parler au public à Vladimir. « La répression est désormais sans limite », confie cet auteur qui, par sécurité, préfère ne plus apparaître en public et, pour écrire, part quelques semaines pour l’étranger.

« Je ne reconnais plus mon pays »

Il limite toute communication sur les réseaux sociaux où, contre lui, ont circulé des messages l’accusant de trahison. « Je suis visé. Il faut être prudent : d’abord, des trolls sur Internet, puis de possibles poursuites judiciaires. » Alors que la Russie renforce son arsenal juridique contre les LGBT, toute allusion à l’homosexualité est scrutée par les autorités et… les lecteurs. « On veille sur nous ! », confirme l’une des directrices d’une petite maison d’édition qui, à contre-courant, continue de publier des écrits indépendants. Parmi eux, une bande dessinée, Colombe Guennadï, où, tout en nuances, le héros ne cache pas ses interrogations sur sa sexualité. « Cela n’a pas manqué : on a été dénoncé et la police s’est intéressée à nous ! Je ne reconnais plus mon pays. »

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La menace pèse bien au-delà des milieux littéraires. Contraints de s’autocensurer pour respecter le moule narratif du Kremlin, les théâtres ont reçu des oukases du ministère de la culture : en plein bras de fer avec l’Ouest, accusé de décadence, il faut promouvoir le patriotisme et protéger valeurs et traditions. « Autocensure, délation, peur… Dès que l’on parle sexe, drogue, politique, il y a des lettres. Cela n’était pas le cas avant », souffle une metteuse en scène à Kazan.

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