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Le chef du principal parti de l’opposition turque a affirmé que des centaines de milliers de manifestants étaient réunis, vendredi 21 mars au soir, pour une « nuit de la démocratie » à Istanbul en soutien au maire de la ville, Ekrem Imamoglu, arrêté mercredi pour « corruption » et « terrorisme ».
« Nous sommes ici avec 300 000 personnes », a clamé Özgür Özel, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), auquel appartient M. Imamoglu, devant l’hôtel de ville d’Istanbul, où le parti avait convié la foule. « Désormais, personne ne doit s’attendre à ce que le CHP fasse de la politique dans des salles ou des bâtiments. Désormais, nous sommes dans la rue et sur les places », avait-il prévenu jeudi soir. Selon l’outil en ligne de comptage de foule Mapchecking, au moins plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont pressées aux abords immédiats du siège de la municipalité.
La contestation menace de s’étendre, avec de nouveaux appels à manifester en soutien au maire d’Istanbul, rival du président Recep Tayyip Erdogan, au surlendemain de l’arrestation de M. Imamoglu. M. Özel a exhorté les Turcs à sortir dans les rues à 20 h 30 (18 h 30, à Paris), après le repas de rupture du jeûne du ramadan, « dans les 81 provinces et 973 districts » du pays, malgré les mises en garde des autorités.
« Droit, loi, justice »
La fermeture de ponts et de plusieurs voies d’accès décidée par les autorités a, selon le chef du CHP, le principal parti d’opposition, empêché nombre de manifestants de rejoindre le site pour la troisième nuit de suite, en dépit des avertissements du président Erdogan, qui a juré de ne pas céder à la « terreur de la rue ». De son côté, le ministre de la justice, Yilmaz Tunç, a qualifié d’« illégaux et inacceptables » les appels répétés de l’opposition à manifester.
« Ne te tais pas sinon ce sera bientôt ton tour ! », ont chanté les manifestants, brandissant des pancartes « N’ayez pas peur, le peuple est là » et « Droit, loi, justice ». « Nous ne donnerons pas notre aval à ce coup d’Etat judiciaire », a lancé M. Özel, alors que le CHP s’apprêtait à désigner dimanche Ekrem Imamoglu comme son candidat à la prochaine élection présidentielle.
Lors de sa déposition, le maire d’Istanbul a affirmé n’« avoir commis aucun crime », selon des propos rapportés par des médias turcs proches de l’opposition. Auditionné durant plusieurs heures, vendredi, selon son entourage, M. Imamoglu devrait être présenté samedi soir à un juge, selon des médias turcs.
Des appels à manifester ont été lancés dans plus de 45 villes à travers le pays – une contestation populaire inédite depuis le grand mouvement de contestation de la place Taksim, parti d’Istanbul en 2013. Au total, des manifestations se sont tenues depuis mercredi dans au moins 40 des 81 provinces du pays, selon un comptage de l’Agence France-Presse (AFP).
Canons à eaux et balles en caoutchouc
Des incidents ont éclaté, vendredi soir, à Istanbul et à Izmir, dans l’ouest du pays, entre manifestants et policiers, selon des correspondants de l’AFP et des médias turcs. A Istanbul, les policiers ont fait usage de balles en caoutchouc, et à Izmir, troisième ville du pays, les forces de l’ordre ont utilisé des canons à eau, selon les reportages de télévisions locales. La chaîne publique TRT a diffusé des images des manifestations pour dénoncer les « provocateurs ».
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Selon le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, 97 personnes ont été arrêtées. Plusieurs journalistes qui couvraient les rassemblements ont été blessés à Istanbul par les forces de l’ordre, ont constaté les journalistes de l’AFP.
Jusque-là silencieux, Recep Tayyip Erdogan a commenté, jeudi soir, cette contestation en accusant le CHP d’« hypocrisie ». « Les problèmes du CHP ne sont pas les problèmes du pays et du peuple, mais les problèmes d’une poignée de personnes ambitieuses », a déclaré le président turc, estimant que la Turquie « n’a pas de temps à perdre avec les spectacles de l’opposition ».
Ekrem Imamoglu, vu comme le principal rival du chef de l’Etat, devait être investi dimanche candidat du CHP à la prochaine présidentielle. Mais le diplôme universitaire de l’édile, réélu triomphalement en 2024 après avoir ravi Istanbul en 2019 au Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, avait été annulé, mardi soir, quelques heures avant son arrestation, ajoutant un obstacle sur sa route, car la Constitution turque exige que tout candidat à la présidence justifie d’un diplôme de l’enseignement supérieur.
Les charges pesant contre lui, en particulier celle de « soutien au terrorisme », font désormais redouter à ses partisans qu’il puisse être incarcéré à l’issue de sa garde à vue dimanche et remplacé par un administrateur nommé par l’Etat à la tête de la municipalité d’Istanbul.
« Le maire n’est ni corrompu, ni voleur, ni terroriste », a lancé, jeudi soir, le chef du CHP à la foule réunie devant l’hôtel de ville d’Istanbul, promettant de « ne pas abandonner la lutte jusqu’à ce qu’Imamoglu et les autres maires emprisonnés soient libérés ». Au total, 90 personnes, arrêtées pour la plupart en même temps que l’édile, étaient toujours en garde à vue vendredi, selon la presse turque. Cette contestation intervient un an après la débâcle subie par l’AKP de M. Erdogan lors des élections municipales, dans un contexte de crise économique.
Le conseil de l’ordre du barreau d’Istanbul dissous
Par ailleurs, le bâtonnier d’Istanbul, Ibrahim Kaboglu, et les membres de son conseil de l’ordre, poursuivis pour « propagande terroriste » et « diffusion publique de fausses informations », ont été démis de leurs fonctions vendredi, selon une décision de justice publiée en ligne par une association d’avocats. La justice turque leur reprochait d’avoir réclamé une enquête sur la mort, à la fin de décembre 2024 en Syrie, de deux journalistes kurdes turcs, visés par un drone turc selon une ONG, dans une zone où des factions proturques affrontaient des combattants kurdes. Le bâtonnier est un ancien député du CHP.
« Aujourd’hui est un jour sombre. En ce palais de justice, nous avons peut-être assisté à l’effondrement de la justice » turque, a déclaré le bâtonnier Kaboglu, à la sortie du tribunal stambouliote de Çaglayan. « Personne n’a le pouvoir de faire taire les barreaux », a lancé à ses côtés le président de l’Union des barreaux de Turquie, Erinç Sagkan, dénonçant une « décision honteuse ».
Une procédure de destitution avait été lancée en janvier contre le bâtonnier d’Istanbul et son conseil de l’ordre. Le barreau d’Istanbul avait alors dénoncé une action juridique « sans aucun fondement légal ». Un membre du conseil de l’ordre du barreau d’Istanbul, Firat Epözdemir, est détenu depuis la fin janvier pour « appartenance à une organisation terroriste » après avoir été arrêté à l’aéroport d’Istanbul à son retour d’une réunion au Conseil de l’Europe à Strasbourg.