
Les « champs de force » protecteurs, ces boucliers invisibles popularisés depuis des décennies par la science-fiction, sont devenus une réalité sur le champ de bataille en Ukraine. Selon leur puissance, leur fréquence et la distance par rapport à la cible, ils sont capables de paralyser un drone kamikaze fonçant sur sa cible. Appelés « coupoles » ou « REB » (acronyme de « combat radio-électronique » dans le jargon militaire russe et ukrainien), ces champs magnétiques n’ont rien d’ésotérique : ce sont des brouilleurs de fréquences, qui font partie de l’arsenal de ce qu’on appelle en français les « systèmes de guerre électronique » (SGE).
L’armée ukrainienne réclame à cor et à cri ces coupoles pour protéger ses troupes et ses équipements en première ligne. Une poignée de fabricants ukrainiens spécialisés cherchent des solutions technologiques, industrielles et financières pour répondre à la demande.
Leur importance est devenue primordiale depuis l’été 2023, lorsque les drones FPV (quadrirotors kamikazes) ont commencé à être massivement utilisés de part et d’autre du front. Ces munitions rôdeuses bon marché (entre 300 et 1 000 euros l’unité) sont capables de frapper avec une très grande précision toute cible, qu’il s’agisse d’un soldat dans sa tranchée, d’un char montant à l’assaut ou d’une ambulance fonçant vers l’arrière. Les unités de drones des deux camps publient souvent sur les réseaux sociaux les vidéos de leurs attaques réussies où l’on peut voir un soldat déchiqueté ou un blindé éclatant en boule de feu.
En conséquence, il est devenu extrêmement dangereux de circuler dans une bande de terrain de 10 kilomètres longeant la ligne de contact. Les drones FPV fonctionnent de pair avec une constellation de drones d’observation survolant en permanence (sauf en cas de météo défavorable) l’arrière ennemi. Du fait de cette présence constante de capteurs (y compris infrarouges dans l’obscurité), le champ de bataille est devenu quasi transparent. Les rotations de personnel, la logistique et les évacuations constituent dès lors des opérations beaucoup plus risquées qu’il y a encore un an, lorsque l’artillerie tenait le haut du pavé. Plusieurs commandants ukrainiens interrogés par Le Monde attestent que les drones FPV russes représentent la principale cause de pertes dans leurs rangs.
« Le front est saturé de petits drones du type DJI Mavic [fabricant chinois, leader mondial des quadrirotors] », indique dans son bureau kiévien Oleksiy Tcherniouk, 29 ans, vice-président de Kvertus, l’un des trois principaux fabricants ukrainiens de brouilleurs. Cet homme de petite taille, au visage débonnaire et aux yeux vifs, souligne une évidence : le résultat du travail des drones FPV est aussi spectaculaire que celui des SGE est invisible.
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