Jair Acatencaltl était un jeune homme trapu au sourire délicat. Dans la maison de ses parents, sa photo trône dans la pièce principale. « Comme ça, il est toujours avec nous », dit son père, Platon, en s’asseyant juste en face pour raconter leur histoire. Voici maintenant un quart de siècle que la famille vit ici, à Matamoros, dans le nord-est du Mexique. Platon et son épouse, Delma, y sont arrivés en 1999, en provenance de leur village indigène de l’Etat de Veracruz, à 1 000 kilomètres au sud. Aujourd’hui encore, ils habitent la même maison, une sorte de cube de béton dans une rue en terre, typique des zones industrielles de l’Etat mexicain du Tamaulipas, en face du Texas.
Platon est ouvrier, Delma s’occupe des enfants. A 21 ans, Jair était l’aîné, il faisait leur fierté. « Un garçon travailleur, sensible et généreux, qui étudiait l’ingénierie et travaillait pour payer ses études », décrit sa mère, en retenant ses larmes. Comme ses parents, il avait la peau cuivrée, les cheveux drus et noirs des Indiens nahuatls. « C’était un modèle pour ses deux frères, poursuit le père. Mais depuis la tragédie, ils ne vont pas bien, l’un a même arrêté le lycée. »
Jair travaillait de nuit dans un magasin de la chaîne 7-Eleven. Platon et Delma s’inquiétaient qu’il rentre seul dans cette ville de 550 000 habitants réputée dangereuse, mais il est mort derrière le comptoir du magasin, dévasté par une explosion de gaz le 26 janvier 2022, à 1 h 30 du matin. Le seul client présent n’a, lui non plus, pas survécu ; il s’appelait José Hernandez, il avait 22 ans. Deux morts donc, et une série de questions : comment expliquer cette explosion ? La compagnie française Engie, chargée du réseau local de gaz depuis vingt-cinq ans, aurait-elle une quelconque responsabilité dans cette affaire ? L’entreprise s’en défend, arguant que le magasin 7-Eleven n’était pas sous contrat avec elle. A l’inverse, la famille du jeune Jair estime que l’entreprise a mal entretenu ses installations à l’origine du drame, et l’accuse de « négligence criminelle ».
« Tu veux combien ? »
« Le jour de l’explosion, il faisait froid à l’usine où je travaillais, car il n’y avait pas de gaz dans la ville », se souvient Platon Acatencaltl. De fait, ces 25 et 26 janvier 2022, le réseau avait été interrompu dans tout Matamoros pour des opérations de maintenance. Alma Alarcon, conseillère municipale chargée des questions énergétiques, n’a rien oublié non plus du moment où Engie a rouvert les vannes. « En quelques heures, nous avons fait face à des dizaines de fuites dans toute la ville, et pas seulement dans quelques quartiers, partout, témoigne-t-elle. Il y a eu une fuite très grave à l’université, qui a dû être évacuée, et comme le 7-Eleven, l’établissement n’avait pas de contrat de gaz. »
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