Les mots varient, mais le constat est le même, au-delà des partis : la gauche a perdu pied dans les campagnes. Est-ce parce qu’elle s’est « embourgeoisée intellectuellement, déconnectée socialement, et n’a plus ni esthétique populaire ni contre-discours », comme le dit Philippe Brun, député socialiste (PS) de l’Eure ? Parce qu’elle repose sur une « espèce d’entre-soi parisien qui a abandonné le local », comme l’affirme le sénateur (PS) de l’Aude Sébastien Pla ? Ou parce qu’elle renverrait l’image d’une « élite donneuse de leçons », selon les mots de Rémi Branco, vice-président (PS) du conseil départemental du Lot ?
De fait, à force de ne plus parler à la France des sous-préfectures et des villages, « elle disparaît petit à petit du paysage politique », met en garde Thibault Lhonneur, conseiller municipal (La France insoumise, LFI) à Vierzon (Cher).
Si aucun âge d’or de la gauche rurale n’a jamais existé, et que celle-ci n’a jamais été « très à l’aise dans les territoires marqués par le monde agricole, celui des artisans, des commerçants et des petits retraités », elle y avait néanmoins une « place, une parole entendue, très souvent critiquée, mais respectée », retrace Rémi Branco, dans son ouvrage Loin des villes, loin du cœur. Dans cette histoire contrariée traîne aussi l’idée que les campagnes seraient par essence conservatrices. Une croyance battue en brèche par les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty dans leur Histoire du conflit politique, qui remonte aux racines de ce rendez-vous manqué entre les campagnes et la gauche.
« La déception paysanne initiale face à la Révolution était profonde et réelle (…) c’est de là qu’il faut partir », estiment-ils. Par la suite, le « biais urbain et ouvriériste » des gauches « ne fait que s’aggraver », creusant un profond clivage entre rural et urbain. Toutefois, celui-ci a fluctué. Les données électorales montrent que cette division, après une relative résorption au XXe siècle, est « fortement repartie à la hausse en ce début du XXIe siècle ». Un recul pour une famille politique qui avait, au cours du siècle dernier, réussi à séduire aussi les ruralités.
« Alors pourquoi la gauche n’y arrive-t-elle plus ? (…) Pourquoi un bulletin Mélenchon semble plus effrayant qu’un bulletin Le Pen ? », s’interroge l’« insoumis » Thibault Lhonneur dans une note pour la Fondation Jean Jaurès. Cet ancien du journal Fakir avance plusieurs pistes, à commencer par la difficulté à nommer ces territoires hétérogènes loin des grandes villes. « Diagonale du vide », « France périphérique », « des bourgs », « des sous-préfectures », « des pavillons », « des barbecues », « périurbaine », « la ruralité » : autant de raccourcis caricaturaux qui, à force de répétition, structurent les représentations et priveraient la gauche de produire un « imaginaire politique désirable ». Au contraire de celui des « quartiers populaires » ayant permis, selon lui, de « produire un récit et des propositions ».
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