
CHRONIQUE
Portraits de femmes loin de chez elles, méditation sur la maternité, exploration des recoins les plus intimes de la vie de ses personnages, Expats, la formidable série de la cinéaste sino-américaine Lulu Wang, est aussi une série politique. Lorsqu’on l’aura vue jusqu’au bout (sa diffusion est en cours sur Prime Video), cette dimension apparaîtra dans toute son ampleur. Dès maintenant, elle se manifeste par l’absence d’Expats des écrans de la ville où la série a été tournée, Hongkong.
Les autorités chinoises et Amazon, qui contrôlent, respectivement, l’ex-colonie britannique et Prime Video, étant aussi peu communicatives les unes que l’autre, on ne sait s’il s’agit d’un phénomène de censure ou d’autocensure préventive. Tirée d’un roman de Janice Y.K. Lee, Expats est très précisément située dans le temps, en 2014, dans les semaines qui menèrent au « mouvement des parapluies », série de manifestations organisées pour tenir en respect l’emprise de Pékin sur la ville.
Malgré cela, à l’été 2021, en pleine pandémie de Covid-19, les autorités de Hongkong dispensèrent Nicole Kidman, interprète et productrice d’Expats, de la sévère quarantaine qu’elles imposaient aux visiteurs et aux citoyens de retour de voyage, suscitant de vives critiques de la part d’un membre pro-Pékin du Parlement local. La raison officieuse de cette exemption tenait à la contribution que Nicole Kidman et l’équipe d’Expats apporteraient à l’économie et, surtout, à l’image de Hongkong.
Les limites de l’utopie du streaming
On ne dispose pas des chiffres sur l’impact financier du tournage, mais il semble bien que l’évocation du soulèvement de la jeunesse contre la normalisation ne corresponde pas à l’image que les autorités mises en place par Pékin veulent donner de la ville. Dans une interview à la BBC, Lulu Wang a brièvement évoqué les conditions du tournage : « Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions montrer, une équipe juridique nous a conseillés », a-t-elle expliqué. Il s’agissait surtout de prendre en compte les membres hongkongais de l’équipe. Ainsi « la majorité du matériel politique a été tournée à Los Angeles », précise la réalisatrice.
L’interdiction faite au public le plus directement concerné par Expats, les habitants de Hongkong, de découvrir la série démontre une fois de plus les limites de l’utopie du streaming, qui a fait croire que toute la planète pourrait partager des histoires venues de tous les pays (à l’exception, colossale, de la Chine, ainsi que de quelques dictatures). Dès 2019, Netflix retirait un épisode du show du comique américain Hasan Minhaj de sa programmation en Arabie saoudite. Plus récemment, la plate-forme a renoncé à diffuser hors d’Inde les versions intégrales des films censurés par les autorités de Delhi.
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