Une foule de cadres fait irruption dans le café où nous discutons depuis une heure. Nous allons chercher le calme dans un minuscule bar PMU, juste à côté. « J’adore, c’est super ! », s’exclame Victor Malzac, apparemment ravi de ce petit déménagement. Car le jeune homme de 26 ans, dont la présence frappe d’emblée par sa fébrilité bravache, ne tient pas en place. Au collège déjà, il ne supportait guère de rester assis. L’an dernier, il devait encore prendre sur lui pour surmonter les interminables épreuves qu’impose l’agrégation de lettres. Bref, depuis toujours, le très prometteur poète, auteur de plusieurs recueils remarqués (dont l’époustouflant Dans l’herbe, Cheyne, 2021), peine à rester immobile.
Avant d’écrire, Malzac soigne la playlist musicale qui enveloppera son propre tempo, en général des morceaux de rap – autrefois Booba, maintenant Stupeflip, NTM à jamais. Et, quand Malzac lit, il privilégie des textes qui le mettent en mouvement, au sens propre. On comprend pourquoi il a choisi de consacrer son doctorat à l’écrivain belge Eugène Savitzkaya, qui publie régulièrement aux Editions de Minuit. « Je suis fasciné par sa manière d’utiliser des verbes au lieu des adjectifs, c’est très corporel, chaque fois que je le lis je me balance sur ma chaise, j’aime cette idée qu’on fait bouger le corps qui lit », s’emballe celui qui vient de signer son premier et très remuant roman, Créatine, monologue frénétique d’un jeune homme happé par les salles de sport, et rêvant de devenir Arnold Schwarzenegger.
Deux paragraphes seulement et on a déjà écrit les mots « poète », « agrégation », « doctorat »… Si l’on pousse encore et qu’on ajoute le terme « normalien », d’aucuns s’empresseront d’enfermer Victor Malzac dans le rôle du fils à papa, du nanti bien assis. Ce serait sous-estimer sa mobilité. Plutôt qu’un bourgeois à l’itinéraire tout tracé, c’est un surdoué qui a la bougeotte. A Saint-Georges-d’Orques, non loin de Montpellier, il a été élevé par un père infirmier et une mère podologue, au sein d’un milieu où, une grand-mère mise à part, « on ne lisait pas spécialement ». Un jour, sa sœur a introduit dans l’aquarium familial un combattant siamois qui dévorait les autres poissons, et l’enfant de 9 ans s’est mis à écrire : « Je racontais l’histoire des poissons morts », se souvient le tout nouveau romancier, dont le narrateur bodybuildé voudrait se faire requin-tigre pour dominer le monde.
Ancien gameur devenu normalien
Entre 11 et 15 ans, pourtant, le futur écrivain n’a quasi plus tracé une ligne. Alité pendant une longue année pour cause de pneumonie, il s’est aussi heurté à l’ambivalence de sa grand-mère lettrée. « Elle était malade, nous l’avons accompagnée jusqu’à la fin. Parmi les obsessions provoquées par son Parkinson, il y avait celle de corriger les fautes dans mes textes, elle avait longtemps rêvé de publier un roman, ça l’énervait que j’écrive, alors j’ai eu peur, peur d’elle, peur de mes fautes. A la place, j’ai joué aux jeux vidéo, je participais à des petites compétitions régionales de Call of Duty, j’ai fait aussi beaucoup de skate, à cette époque je n’allais plus trop en cours. » Cela n’empêche pas l’élève Malzac d’avancer. Dès l’école primaire, les instituteurs remarquent son talent et implorent ses parents de le mettre dans le privé pour lui éviter le collège voisin, peu réputé : « Mon père et ma mère se sont saignés aux quatre veines pour m’inscrire dans un établissement catholique. On était athées, l’ambiance ne me plaisait pas du tout… Mais, quelque part, ils l’ont fait pour des raisons républicaines », remarque l’ancien gameur devenu normalien, qui ignorait jusqu’à l’existence de l’école de la rue d’Ulm (Paris), ce haut lieu de l’excellence républicaine, avant de débarquer au lycée Joffre de Montpellier.
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