La rupture est consommée. Le député sortant de la 1re circonscription de la Somme, François Ruffin, en campagne pour sa réélection, a estimé jeudi 4 juillet que le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, était un « boulet » et un « obstacle au vote ». Quelques heures plus tôt, l’ancien journaliste, qui s’était fait élire député pour la première fois en 2017 avec le soutien du mouvement des « insoumis », avait annoncé qu’il ne siégerait plus dans le groupe LFI à l’Assemblée s’il était réélu dimanche pour un troisième mandat.
« On a vécu trois semaines dures parce qu’on a un boulet. Vous l’avez entendu. C’est Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon comme obstacle au vote », a déclaré le député sortant à l’Agence France-Presse (AFP), ajoutant : « Dans des terres comme ici, dans des terres populaires de province, ça bloque. »
Volontiers présenté comme un successeur potentiel de Jean-Luc Mélenchon, même s’il a toujours été un électron libre au sein de LFI, M. Ruffin, a pris ses distances avec lui depuis ces derniers mois. Il a assumé publiquement sa rupture avec le dirigeant « insoumis » après la dissolution et la « purge » qui a suivi de ses collègues frondeurs, qui n’ont pas été réinvestis, malgré leur appartenance historique au mouvement. Cela, en raison de leurs critiques sur le fonctionnement interne de LFI.
« Il faut passer du bruit et de la fureur à la force tranquille »
Abstentionnistes et électeurs macronistes, « il faut aller chercher dans les deux pour gratter les sept points » de retard, a souligné M. Ruffin, qui est en ballottage défavorable dans sa circonscription. Le candidat du Nouveau Front populaire a obtenu 33,92 % des voix exprimées, dimanche 30 juin, lors du premier tour. Il affrontera au second tour la candidate du Rassemblement national (RN), Nathalie Ribeiro-Billet, qui l’a devancé avec 40,69 % des voix. La candidate macroniste, Albane Branlant, s’est désistée en sa faveur dès dimanche soir, en appelant très clairement à faire barrage au RN. « Je fais une différence entre des adversaires politiques et les ennemis de la République », a-t-elle dit.
Déplorant une « campagne en urgence » après la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée, M. Ruffin a également appelé jeudi les « insoumis » à plus de sérénité dans les débats parlementaires et politiques. « Ça fait deux ans que je dis qu’il faut passer du bruit et de la fureur à la force tranquille. Il faut incarner de la stabilité, de la confiance, rassurer les Français », a-t-il souligné. Ajoutant : « Ce n’est pas fait, et dès qu’il y a eu la dissolution j’ai dit : “Je ne suis pas investi par la France insoumise”. »
« Ce n’était pas suffisant pour les électeurs, ils n’entendaient pas assez, malgré le profond désaccord que j’ai exprimé à l’endroit de ce que fait Jean-Luc Mélenchon. Donc, on coupe les ponts, et on y va (…) avec indépendance », a-t-il déclaré à l’AFP, à Abbeville.
Signe que les langues se délient de plus en plus chez les « insoumis », un autre député sortant LFI, Christophe Bex (Haute-Garonne), a également pris ses distances publiquement avec M. Mélenchon jeudi, jugeant que « la situation de François Ruffin dans sa circonscription est à peu près similaire à la mienne ». « Ce que je constate, c’est que l’image de Jean-Luc Mélenchon s’est fortement dégradée. (…) Malheureusement, il est assez friand de tweets et de déclarations », a-t-il regretté dans une déclaration à l’AFP.
Pour le député sortant, « dès qu’on sort des villes, on a un vote RN qui a fait plus qu’un bond ». « On n’est plus dans la dynamique de 2022 quand Mélenchon avait fait 22 % à la présidentielle », estime-t-il. Pour M. Bex, « Jean-Luc Mélenchon s’abîme à cause de ce qu’il appelle son caractère méditerranéen et c’est plus dur sur le terrain pour nous après ».
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Interrogé sur ces critiques publiques au JT de TF1 jeudi soir, Jean-Luc Mélenchon a rappelé que « dix-neuf personnes “insoumises” ont été élues dès le premier tour ». « Il y a plus boulet que celui-là », a-t-il ironisé, avant de mettre en garde M. Ruffin.
« Une élection aussi dangereuse n’est pas le moment de régler des comptes personnels et lui en particulier se met en danger », a-t-il prévenu, avant d’ajouter : « Quand il dit “moi je quitte les insoumis” alors même qu’il est sur une circonscription qui a été attribuée aux “insoumis” [dans le cadre de l’accord à gauche] et qui l’ont investi, les gens qui votent ne savent plus pour quoi ils votent. Alors je pense qu’il se met en danger et il a tort », a-t-il insisté, avant d’évoquer une « règle de météo politique » lancée à l’adresse de M. Ruffin : « Quand le vent souffle fort, il emporte aussi les girouettes. »
« Traits d’union »
Sans s’avancer quant à la création d’un nouveau mouvement à gauche, François Ruffin avait espéré un peu plus tôt sur RTL créer des « traits d’union » entre « les différentes forces de gauche » dans la nouvelle Assemblée. « Il y a beaucoup de gens bien, il n’y a pas de doute, chez les “insoumis” » mais, a-t-il expliqué, « il y a moyen de faire autre chose avec des amis communistes, écologistes, Génération. s, et ainsi de suite ».
Le leader du microparti Picardie debout a, en revanche, exclu toute participation à une grande coalition allant des communistes jusqu’aux députés Les Républicains. « Je ne participerai pas à un gouvernement qui serait une coalition hétéroclite et improvisée », un « gloubi-boulga » sous « les nominations d’Emmanuel Macron », a-t-il prévenu, toujours sur RTL.
« Les politiques suscitent du dégoût, on le voit. Si on se lance dans des combines, des manœuvres, ce sera encore pire », a déclaré M. Ruffin. Il a appelé, « quels que soient les dirigeants, demain », à « faire l’inverse de ce qu’a fait Emmanuel Macron depuis deux ans », c’est-à-dire « gouverner sans brutalité, en tenant compte des avis différents » et « avec une forme de tendresse et avec beaucoup de dialogue ».