Après avoir souri au photographe dans la grande cour de récréation et insisté pour que son cadrage ne mette pas trop en évidence ses rides, elle se dirige vers l’auditoire et commence son récit. Le brouhaha cesse illico. « Bonjour tout le monde. Je suis juive, née en 1935 à Przemysl, en Pologne, et j’avais 4 ans et demi quand la seconde guerre mondiale a éclaté. Mon père était parti en France pour préparer notre venue. Mais le conflit a débuté et nous n’avons pas pu le rejoindre à temps. Ma maman et mon grand-père ont été rapidement tués par les nazis, ma grand-mère est morte peu de temps après. J’ai fini par être toute seule et j’ai vécu cachée pendant deux ans et demi dans un grand trou, une sorte de tunnel, sous la terre, avec d’autres juifs. Nous étions la plupart du temps plongés dans le noir et devions rester couchés. Ce n’était pas une vie. »
Cette existence fut pourtant la sienne et Gisèle Flachs, 89 ans, la raconte ce jour-là, sans la moindre note sous les yeux, pendant plus d’une heure, devant des élèves de 3e et de 1re du collège-lycée François-Villon, dans le 14e arrondissement de Paris. Dans la vaste salle décorée de noir et de rouge, la lumière de cette belle journée d’avril a été occultée, afin de capter l’attention des adolescents, peut-être. Une précaution inutile : la petite dame toute menue, venue de Bruxelles, où elle vit, aimante tous les regards.
Gisèle Flachs n’a rien oublié, ou si peu. Elle raconte d’une voix douce, avec maîtrise, son enfance heureuse à Przemysl, dans le sud-est de la Pologne, près de la frontière ukrainienne. Ses parents, propriétaires terriens et vendeurs de chevaux, peu religieux, font partie de la petite bourgeoisie juive. En 1938, son père, Naftali, sent que la guerre menace et prépare l’exil de sa famille vers Paris.
Trop tard : en 1939, l’invasion de la Pologne par l’Allemagne et l’Union soviétique oblige Gisèle et sa maman, Regina, à fuir. Przemysl, à la frontière qui sépare les zones d’occupation allemande et soviétique, sera au cœur des troubles. Les premiers massacres des juifs par les Einsatzgruppen, ces unités mobiles d’extermination composées de policiers et d’officiers SS, à l’Est, ont lieu en septembre. Regina Flachs se réfugie avec sa fille chez ses parents, de l’autre côté de la frontière, à Boryslav, en Ukraine.
Le long calvaire de Gisèle Flachs commence. Elle le détaille calmement devant les adolescents : son enfance volée par la guerre, la sauvagerie nazie, les insultes des civils. Elle évoque aussi ce qu’elle estime être l’incroyable chance qui lui a permis d’échapper une fois, deux fois, dix fois aux rafles et à une mort quasi certaine. « Là-haut » quelqu’un a peut-être toujours voulu la protéger, se dit-elle sans y croire vraiment.
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