Quand sa mère l’a laissé sur le pas du portail de la maison de sa tante, devant le coffre ouvert de sa Twingo moutarde ras la gueule, pleine de son bordel étrange, entre agglomérats de miettes et de cheveux décolorés et tote bags en tout genre, elle l’a embrassé et lui a dit les mots d’au revoir habituels, salut mon amoureux. Mais cette fois-ci, pour la première fois, ces mots ont transpiré une étrangeté nouvelle, qu’il a cru voir filer dans le vent océanique pour aller résonner jusqu’au fond de la petite forêt sableuse qui coiffe les dunes de la plage voisine, un peu plus loin.
Il a 14 ans, il est le fils de sa mère, pas son amoureux. Cette fois-ci, pour lui, c’est limpide. Mais il est si heureux qu’elle ait accepté qu’il reste dans les Landes alors qu’ils partent elle et son petit frère, et ce pour un deal, somme toute, plus que correct, qu’il plie son petit malaise et le range dans la poche arrière de son Carhartt. Pour plus tard.
Il a eu le droit d’échapper au trip breton Yams et tisane avec sa mère et son petit frère, et de rester ici à faire le seul truc qui a de la valeur à ses yeux, du surf tous les jours, à une seule condition : qu’il s’occupe des petits de la maison. Les petits = un troupeau de six enfants entre 4 et 10 ans appartenant à sa tante et ses amis, de minuscules brutes, glaireuses, bagarreuses et désinhibées, venues droit de la ville avec leur baluchon de violence accumulée et d’énergie vitale contrariée. Mais il en a vu d’autres. Il fonce dans le tas avec le sourire, on peut bien le battre, le lessiver, le piétiner, tant qu’il a ses trois heures dans les vagues, il ne bouge pas.
Manny le mammouth
Le premier soir, de retour de sa session, les lèvres bleues, gelé jusqu’aux os, les yeux rougis par le sel, pas le temps de prendre une douche, il enchaîne sur la mission petite enfance. La gestion des six douches, six repas, six couchers entame sa bonne humeur, tandis que les adultes hurlent d’un rire imbibé en bas, il peste un peu, il faut l’avouer. Une fois que tout ce petit monde est neutralisé, au lit, propre et silencieux, il se jette sous une douche plus ou moins chaude.
Une fois sorti, face au miroir, il branche un gros séchoir à cheveux noir que sa tante a eu l’heur de laisser dans sa salle de bains, et se lance dans une activité qui le ravit, découverte il y a peu : le brushing. Grâce à ça, ce petit miracle humain, il a trouvé la coupe, sa coupe. Les cheveux courts derrière et sur les côtés, et, devant, deux grandes mèches, séparées par une raie bien nette et brushées en deux beaux drapés soyeux brillants, qui lui ont valu le surnom de « Manny le mammouth de L’Age de glace », trouvé par le cadet de la bande. Mais il a beau retourner son sac, pas de brosse. Il doit trouver une solution, et vite, hors de question de rester dans cet état.
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