
Dix ans après, Louison (le prénom a été modifié), 33 ans, pommettes hautes et grands yeux verts, se dit encore « traumatisée » par cette rupture. « Dès qu’une personne arrête de me donner des nouvelles pendant quelques jours, je me dis qu’elle ne va plus jamais me parler », soupire l’avocate parisienne, qui se sent « incapable d’envisager une relation sans penser à sa fin ».
L’histoire remonte à plus de dix ans : alors qu’elle vient de s’installer dans son premier appartement, une amie rencontrée à un stage de musique lui apprend qu’elle souffre de dépression, doublée de problèmes familiaux et financiers. Louison lui propose de s’installer chez elle pour quelques jours, la cohabitation s’étire pendant six mois. Les deux vingtenaires dorment ensemble, s’envoient des centaines de textos par jour, développent une relation aussi fulgurante que fusionnelle. Quand son amie se sent enfin remise sur pied, elle décide de rentrer chez elle… Et cesse du jour au lendemain de répondre aux appels de Louison.
Après des phases d’inquiétude et de colère, il reste à cette dernière un grand point d’interrogation. « Je continue de penser que j’ai merdé quelque part, et qu’elle ne me l’a pas dit », confie la Parisienne, le regard en suspens.
Aucun de ses proches n’a compris la béance laissée par cette rupture : « Mes potes ont fait des blagues sur le fait qu’on était comme un couple, ou simplement dit que ce n’était pas si grave. Pourtant, il n’y a pas une journée sans que je repense à elle. » Louison a récemment pris rendez-vous avec une thérapeute spécialisée en EMDR, le traitement des traumatismes psychologiques, pour parler – entre autres – de ces souvenirs-là.
Pour tenter de se réconforter d’un chagrin d’amour, on peut se gaver de comédies romantiques ou écouter en boucle les chansons de Jacques Brel, Barbara, Chet Baker ou Miley Cyrus sur le sujet. En amitié, il n’existe pas de code, pas d’obligations autour de la rupture. Pas non plus de rituel pour venir en aide aux cœurs brisés, pas de dictons galvaudés du style « Un de perdu, dix de retrouvés ». Le sujet apparaît comme un impensé, comme si les amitiés étaient perçues comme des relations plus linéaires, des refuges censés rester stables face aux turbulences de la vie amoureuse.
« Un sentiment de trahison »
« Le couple est lié à la possibilité d’une destruction, quand le lien amical est auréolé d’une notion de réconfort. Pourtant, l’amitié peut être entachée des mêmes travers que toute autre relation : la prise de pouvoir, l’abandon, la trahison… », relève Anne-Laure Buffet, thérapeute et autrice de l’essai L’Amitié, paru en 2022 aux éditions Eyrolles.
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