Dans la forêt d’uniformes bleus, on ne voit qu’elle : écharpe blanche sur la tête en signe de ralliement, silhouette minuscule face au gabarit imposant des policiers. Ce samedi 3 février, les forces de l’ordre viennent d’arrêter plusieurs journalistes et des participants à l’action hebdomadaire des « femmes de mobilisés », ces collectifs qui réclament le retour du front ukrainien de leurs maris, de leurs fils, de leurs frères.
Du haut de son 1,55 mètre, Maria Andreïeva se place, seule, devant le fourgon de police, interdisant au véhicule de bouger. Elle plaide pour chacun des manifestants, essaie de les arracher aux griffes des agents. En vain : tous seront gardés plusieurs heures et obligés de signer un engagement à ne plus participer à des « actions illégales ».
Ainsi va la guerre en Ukraine, qui révèle les caractères, même à l’arrière. Pédiatre de formation, la Moscovite âgée de 34 ans n’avait jamais milité, jamais manifesté, encore moins pris la tête d’une quelconque contestation. Et la voilà soudain transformée en figure de proue d’un mouvement qui, aussi fragile soit-il, contrarie les autorités russes.
« Si, par malheur, il arrivait quelque chose à mon mari, je m’en voudrais de n’avoir pas fait le maximum pour le sortir de là, dit-elle pour résumer son engagement. Et puis, la petite a une grand-mère… » Comprendre : si Maria Andreïeva devait aller en prison, la fillette de 2 ans et demi, privée de son père et de sa mère, ne serait pas laissée à l’abandon.
Rester dans la légalité
Les « filles », comme elles s’appellent entre elles, n’en sont pas moins prudentes. Pendant des mois, elles se sont contentées d’écrire aux députés, aux ministères, de signer des pétitions… « J’ai toute une collection d’accusés de réception », ironise Maria Andreïeva pour évoquer l’embarras des autorités face à ces initiatives. C’est surtout sur Telegram qu’elles s’organisent, dans des groupes baptisés « Le chemin du retour ».
Elles prennent bien soin, aussi, de rester dans la légalité, de donner des gages de loyauté. Ce n’est pas la fin de « l’opération militaire spéciale » qu’elles réclament, mais que celle-ci soit conduite par des volontaires, et non par les 300 000 civils mobilisés à l’automne 2022. Dès le mois de décembre de cette même année, d’ailleurs, le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, s’y était engagé, évoquant une « priorité ». Mais les autorités ont beau se vanter d’un nombre de recrutements exceptionnellement élevé (385 000 pour l’année 2023, officiellement), il n’est pas question d’un retour des mobilisés.
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