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Jean-Pierre Brun, ou l’Empire romain vu par son terroir

by Marko Florentino
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Jean-Pierre Brun, archéologue, au Collège de France, à Paris, le 28 octobre.

Une des subtilités dans l’art journalistique du portrait consiste à bien doser les citations du personnage portraituré. A ne pas donner trop d’écho à ses « je » tout en faisant résonner sa personnalité. Avec l’archéologue Jean-Pierre Brun, il faut oublier cette recette et les ficelles habituelles de l’exercice. Car, s’il nous reçoit dans son bureau, au Collège de France, où il a tenu la chaire Techniques et économies de la Méditerranée antique de 2011 jusqu’à cette année, Jean-Pierre Brun ne peut nous raconter sa vie : celle-ci a basculé un jour de novembre 2019, dans un TGV entre Toulon, dans son Var natal où il habite, et Paris. Ce matin-là, frappé par un accident vasculaire cérébral, le chercheur a perdu l’usage des mots (à l’exception du « non » !), tant à l’oral qu’à l’écrit.

Quand on le rencontre, son épouse, Victoria Leitch, et sa collaboratrice scientifique, Despina Chatzivasiliou, se font, littéralement, ses porte-parole, elles qui lisent sur son visage et dans le ton des onomatopées qu’il prononce. Fait de devinettes, un dialogue à plusieurs voix s’instaure où s’intercalent les plans et les croquis que le principal intéressé dessine sur un carnet si on ne parvient pas à pressentir ce que l’aphasie lui interdit de dire. Car Jean-Pierre Brun n’est pas du genre à s’en laisser conter par ce bout de cerveau hors d’usage ni à lâcher prise.

Après son AVC, se remémore Despina Chatzivasiliou, « il a disparu pendant plusieurs mois, puis il y a eu le Covid-19. Quand je l’ai revu en octobre 2020, il m’a fait comprendre qu’il voulait continuer ses cours au Collège de France. Cela m’a choquée mais, en même temps, c’était un défi. Voir cette force de caractère et cette intelligence qui était toujours là impressionnait tout le monde. » Oui, mais comment faire ? « Il a ensuite passé deux jours à gribouiller des choses assez incompréhensibles, mais j’ai saisi que c’était une carte, une liste des sites qu’il voulait « explorer » dans son cours. » Lequel allait se donner par écrit et en ligne, ce qui, en période post-Covid, n’a étonné personne. Despina Chatzivasiliou a lu toute la production de Jean-Pierre Brun et écouté ses cours en ligne pour assimiler son style et rédiger les textes sous sa direction.

Lacune de l’Histoire

« Sa vie est pleine, pleine, pleine d’archéologie, résume Victoria Leitch. Il pense que tout le monde devrait être archéologue ! » Même si l’événement déclencheur de cette vocation s’est perdu dans les limbes, reste ce souvenir où, à 7 ou 8 ans, le jeune Brun appose une affichette sur la porte de sa chambre, disant : « Ne pas déranger, archéologue au travail. » Ses parents le conduisent sur des sites archéologiques, et celui que la famille surnomme « le savant » commence à fouiller, à rédiger des rapports, à dessiner des plans, alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années.

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