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Jusqu’à quel point le traducteur doit-il ressembler à l’auteur qu’il traduit ?

by Marko Florentino
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Si les retraductions sont habituelles, elles concernent généralement des textes classiques, dont la première version en français a pu se révéler lacunaire, fautive, ou avoir vieilli. Mais une telle entreprise moins de dix ans après la première parution ? On n’en connaissait pas de cas, en voici un : publié en 2016 chez Autrement sous le titre Une colère noire, dans une traduction de Thomas Chaumont, le vibrant Between the World and Me, de Ta-Nehisi Coates, reparaît cet hiver sous le titre ­Entre le monde et moi, traduit par Karine Lalechère (Autrement, 200 pages, 19 euros, numérique 14 euros).

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Dans sa préface inédite à ce texte sur la persistance du racisme dans son pays, Ta-Nehisi Coates, grande voix afro-américaine, dit qu’il n’était pas heureux du ­titre français, sur lequel il s’était pourtant alors mis d’accord avec la maison d’édition. Sophie de Closets, qui préside les éditions Flammarion, propriétaires d’Autrement, précise ce qu’avaient relevé plusieurs articles il y a huit ans : « Ce titre posait problème parce qu’il semblait en appeler à un cliché raciste, celui des “angry black people” – les Noirs en colère. »

Après trois livres chez Autrement, Ta-Nehisi Coates est passé, par militantisme, chez Présence africaine pour Huit ans au pouvoir (2018), puis a fait paraître son roman La Danse de l’eau chez Fayard (2021), alors dirigé par Sophie de Closets. Que cette dernière ait publié les Mémoires de Barack et Michelle Obama a sans doute pesé dans le choix de l’écrivain, dont plusieurs éditeurs français rapportent qu’il est le seul à leur avoir demandé combien d’auteurs noirs comptait leur catalogue.

Parce qu’il garde le regret du titre de son premier livre traduit en France, l’éditrice lui propose, une fois devenue patronne de la maison détenant les droits de Between the World and Me, de le republier avec un titre fidèle à l’original et une traduction « plus littéraire que la précédente ». Sans que cela ait fait partie du contrat avec Ta-Nehisi Coates, la relecture de celle-ci est confiée à Maboula Soumahoro, universitaire franco-ivoirienne, spécialiste de la civilisation américaine et des questions raciales en Amérique. « Tant qu’à reprendre le texte, justifie Sophie de Closets, autant s’assurer de ne pas manquer les allusions, les intertextes et les sous-textes culturels. Pour certains ­livres, il ne me semble pas extravagant de recourir à plusieurs paires d’yeux. »

L’affaire Amanda Gorman

La traduction de voix issues de mino­rités, qu’elles soient ethniques ou de genre, exige-t-elle des précautions spécifiques ? La question continue de travailler l’édition, trois ans après l’affaire Amanda Gorman. Cette jeune Afro-Américaine avait lu un poème lors de l’investiture de Joe Biden, à Washington, en 2021, poème dont la traduction en néerlandais avait été confiée, avec l’accord de l’autrice, à une personne blanche, Marieke Lucas Rijneveld, ce qui avait provoqué une polémique. Rijneveld avait renoncé ; une femme noire, Zaïre Krieger, avait repris le flambeau. Non sans que le monde de l’édition se soit entre-temps écharpé. Qui peut traduire qui ? « Faut-il se ressembler pour traduire ? », comme le demandait un recueil de tribunes consacrées à ce sujet (Double ponctuation, 2021). Le débat a été particulièrement virulent en France, où les tenants d’un certain universalisme issu des Lumières s’opposent à ceux pour qui ­celui-ci ne tient pas assez compte des logiques de domination.

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